Après les récompenses de toutes parts en 2019 (3 étoiles, meilleur restaurant du monde, meilleur chef du monde), Mauro Colagreco subit comme tout le monde la crise du coronavirus de plein fouet. Son restaurant Mirazur (Menton) a fermé ses portes le 14 mars dernier et l'ensemble de son équipe est au chômage technique. "Je continue bien sûr de m'occuper du potager avec mon neveu, qui est confiné chez nous", nous explique le chef italo-argentin. "On récupère les légumes pour nous, on fait aussi quelques paniers pour les voisins proches qui savent qu'on a un stock à écouler mais ce n'est pas à grande échelle. On en donne aussi au staff pour qu'ils sortent le moins possible au supermarché."
Avec sa production, Mauro Colagreco cuisine également pour le personnel hospitalier et les sans-abris de Menton. "On a débuté la semaine dernière et on va faire ça tous les mardis et jeudis. Tout le monde autour de nous contribue à son échelle, que ce soit les producteurs, les pêcheurs, etc... qui nous donne de la matière première", souligne le chef.
Repenser notre façon de consommer
Si Mauro Colagreco vit ce confinement au jour le jour, il pense déjà à l'avenir de son restaurant et de la gastronomie de manière globale. "Je crains que beaucoup de restaurants restent sur le carreau. Tout va dépendre de combien de temps la crise va durer mais j'ai l'impression que cela va être plus long que ce qu'on pense et ce sera très dur pour le secteur de la gastronomie. Pour tout le monde d'ailleurs. Je pense que cela sera l'occasion d'une grande remise en question."
La première, selon le chef du Mirazur, sera sur le locavorisme tant au niveau des produits que des restaurants. "Au Mirazur par exemple, nous accueillons une clientèle très internationale et je pense que dans les mois à venir, ça ne sera plus le cas. Heureusement, nous avons également beaucoup d'habitués du coin et on compte vraiment sur eux pour le retour."
Mauro Colagreco pense également que "tout le monde devra s'adapter à de nouvelles conditions" : "Est-ce que le déconfinement se fera de manière progressive comme en Asie, avec des distances plus grandes entre les tables et donc moins de couverts, des masques, du gel à disposition ? Avant le confinement, on avait vu les choses venir d'Asie et au Mirazur, on avait déjà renforcé nos protocoles. On obligeait tout le monde à se laver les mains toutes les 30 minutes, si besoin on utilisait des gants, on désinfectait encore plus les surfaces avec de l'alcool... J'imagine qu'à la réouverture on devra maintenir voire renforcer ces mesures."
Dans tous les cas, le plus important pour le chef sera de garder son personnel mais aussi de voir cette crise, si dure soit-elle, comme une opportunité de repartir sur de bonnes bases. "Toute la chaîne alimentaire, des producteurs aux distributeurs en passant par la restauration, va devoir changer. Notre société est totalement déséquilibrée et je pense que ce que nous sommes en train de vivre aujourd'hui découle aussi de ça. Ca serait dommage de ne pas profiter de cette période où les gens sont plus sensibles et voient clairement que les modes de productions et de consommation présentés jusqu'à aujourd'hui ne sont pas les bons et mènent à notre mort. C'est terrible ! Je suis peu optimiste mais quelque part, je veux croire que l'humain est assez intelligent pour se remettre en question. Je vois mal les consommateurs accepter tout cela comme ils le faisaient avant, avec des tomates sur les étals et les cartes des restaurants en janvier, des poissons venus de milliers de kilomètres alors que nous sommes au bord de la Méditerranée, consommer de grandes quantités de viande élevées en batterie... Il faut cesser de céder aux lobbies !"
La créativité peut sauver la gastronomie
La semaine dernière, Ferran Adrià estimait qu'à la réouverture des restaurants, l'important ne sera pas la créativité des chefs mais la gestion des affaires. "Il n'est pas prioritaire de penser à être créatif. Au début, il ne sera pas indispensable d'inventer un nouveau plat, la première chose sera de servir un plat", a déclaré l'ancien chef d'ElBulli en Espagne.
Si Mauro Colagreco partage ce point de vue, son propos est plus nuancé. "Comme dit Ferran, l'important sera de bien gérer notre relance. Il faudra assurer la reprise et être tous solidaires, envoyer des clients chez les confrères et continuer à aller dîner chez les autres restaurateurs pour relancer la machine. Il sera également important de rassurer la clientèle pour qu'elle se sente protéger et en confiance. Lorsque les gens vont ressortir, ils devront avoir le sentiment que ce n'est pas pour rien, il ne faudra pas tricher. Concernant la créativité, je pense qu'elle devra tout de même être présente pour proposer des plats avec des matières moins nobles mais travaillées de façon incroyable. Cela pourra passer par la luttre contre le gaspillage alimentaire par exemple, qui peut développer la créativité tout en nous permettant de faire des économies. Les chefs qui ne travaillent encore que les belles parties d'un légume et jettent le reste, ce n'est plus possible ! Avec des parures, on peut préparer un bouillon, un potage... C'est juste du bon sens, de l'économie pour les restaurants mais aussi pour la planète. Je pense que les restaurateurs qui ne seront pas capables de revoir leur fonctionnement auront du mal à survivre", estime Mauro Colagreco, dont le restaurant est d'ailleurs le premier établissement au monde certifié sans plastique.
"J'ai des enfants encore petits, j'ai eu la chance de voyager à travers le monde et de constater que nous vivions sur une planète magnifique, que la nature était parfaite et qu'il fallait la préserver. Alors malgré la catastrophe que représente ce virus, le drame qu'il engendre pour beaucoup de gens, j'espère qu'il sera également une vraie opportunité pour l'humanité."