Il semblerait que le jour où l'on choisit une boisson dans un bar en fonction son côté "sain" soit arrivé. "Sain" n'est peut-être pas le bon mot, mais il se rapproche du terme approprié pour décrire les raisons pour lesquelles les cocktails à faible taux d'alcool ont vu le jour, à commencer par les bars américains qui comment déjà à semer quelques graines à travers le monde.
Mais pourquoi quelqu'un sortirait le soir pour boire, sans vraiment boire (beaucoup) ? Commençons par clarifier les choses : nous ne parlons pas des mocktails. Ces jus, sodas, sirop, sont des boissons sans alcool. Même si ces breuvages sont agrémentés de spiritueux, ceux-ci sont toujours sans alcool et ne vous rendent jamais pompettes. Non, nous parlons d'une nouvelle catégorie de cocktails, des boissons qui contiennent tout au plus 20% d'alcool quand un Dry Martini en contient 38-40%. Nous parlons également d'un autre type de consommateurs. "Si nous réfléchissons aux raisons de la naissance d'une telle tendance, je dirais que la santé est le bien-être sont les deux principales, mais aussi une différente approche des cocktails", estime le bartender italien Diego Ferrari, auteur du livre Low alcohol cocktails, new frontiers in mixology, qui s'est lancé dans ce genre de cocktail dès 2014.
Les personnes à la recherche de boissons moins sucrées et alcoolisées sont devenues un vrai challenge pour les bartenders. Ils ont dû imaginer les meilleures combinaisons parmi un large choix de produits, mais sans base la base de spiritueux avec laquelle ils sont habitués à travailler (gin, vodka, rhum, etc). Les bartenders conscients de cette nouvelle tendance sont plus que jamais à la recherche de ces bouteilles que l'on laisse généralement traîner au fond des placards d'un bar : liqueurs, bières, cidres, vins corsés.
Photo Pasquale Formisano from “Cocktail Low Alcohol - New Frontiers in Mixology” by Diego Ferrari published by Bibliotheca Culinaria
Choisir le naturel
"Prise de conscience" ("consciousness") pourrait être un terme plus approprié pour décrire cette nouvelle façon de boire. C'est du moins le terme qu'utilises le bartender Vijay Mudaliar. Il est le fondateur du bar Native à Singapour, #4 du classement Asia's 50 Best Bar 2019. "Plus qu'une tendance, je pense qu'il s'agit d'une réponse pour les gens qui souhaitent boire plus raisonnablement, sans perdre le contrôle. Il faut aussi prendre en compte le fait que les gens sont plus sensibles aux créations de cocktails, ils veulent goûter des saveurs différentes et sont à la recherche de cocktails plus équilibrés que ceux à base de spiritueux forts", estime Vijay, connu pour son engagement pour la durabilité et ses efforts pour utiliser principalement des ingrédients venus de sa région.
La plupart des cocktails à la carte de Native sont naturels, faits maison, frais, et certains cocktails sont faiblement dosés en alcool, tout en étant riches en saveurs. C'est d'ailleurs le principal défi pour les bartenders suivant cette tendance : il ne s'agit plus du degré d'alcool mais de proposer différentes saveurs et textures, pour créer une savante combinaison des deux. Une ginger beer faite maison, un sirop naturel, un soda infusé avec des fruits de saison ou des épices peuvent faire toute la différence. Même une toute petite quantité de spiritueux comme le mezcal peut venir énergiser le breuvage.
Avec la nourriture
En dehors des bars, les cocktails faibles en alcool peuvent être un bon accord avec certains plats. "De nombreuses combinaisons fonctionnent avec des boissons faibles en alcool, surtout avec les entrées si l'on souhaite par exemple une boisson qui réponde aux notes d'agrumes et d'herbes d'un plat. Ce genre de boisson est également très appréciée entre les plats pour nettoyer le palais, avec des notes acides et des touches évoquant déjà les saveurs du plat à venir", explique Tim Butler, chef de Eat Me à Bangkok, où il forme une bonne équipe avec le bartender Pop Direkrittikul.
Si certains chefs n'ont pas encore sauté le pas, d'autres ont pris le risque et ont obtenu des résultats surprenants. C'est un peu comme créer un costume ; ces créations sont faites pour aller avec un certain corps, ou menu. Sans trop d'alcool au milieu.
Photo Native bar
Bon retour, apéritif !
Cette tendance est une bonne nouvelle pour ceux qui aiment les cocktails classiques car cette tendance peut très bien s'appliquer sur des cocktails connus comme l'Americano ou le Negroni. L'apéritif est d'ailleurs une bonne occasion de casser un peu votre routine habituelle. Demandez donc aux Argentins, qui sont de véritables adeptes de l'apéro ! D'ailleurs, le bar Floreria Atlantino à Buenos Aires, actuellement troisième meilleur bar du monde selon The World's Best Bars, propose de nombreux cocktails faibles en alcool, sans même revendiquer cette tendance. Ils ont simplement été créés et pensés comme cela.
Boire est toujours une question d'ambiance et de timing. Nos habitudes peuvent changer d'un samedi soir à un dimanche après-midi. Avec l'ascension de cette nouvelle tendance, nous sommes sûrs de voir naître de nouvelles versions du Spritz dans les mois à venir.