Vingt ans au Bristol, dix années de trois étoiles... La carrière d'Eric Frechon en fait rêver plus d'un à travers le monde. Mais comme le rappelle le chef de L'Epicure, on n'a rien sans rien. Quand beaucoup multiplient les expériences et ouvrent tellement de restaurants qu'ils sont partout et nullepart à la fois, Eric Frechon chérit une philosophie bien différente : "Je suis là midi et soir !"
En ce jour, le chef triplement étoilé nous reçoit dans son bureau de verre, installé au milieu des cuisines du Bristol, et revient pour nous sur cet anniversaire si spécial.
Comment avez-vous décidé de célébrer vos 20 ans au Bristol et 10 ans de 3 étoiles ? Depuis janvier et jusqu'à la fin de l'année, nous proposons un menu spécial en huit services, qui regroupe les plats signatures les plus marquants de ma carrière au Bristol. J'ai été très agréablement surpris de l'accueil de cette offre par les clients. Je ne dirais pas qu'on ne vend que ça mais pas loin !
On retrouve mes macaronis créés il y a vingt ans mais aussi ma langoustine, à la carte depuis seulement quatre ans. Côté dessert, j'ai gardé le citron givré imaginé avec Laurent Jeannin mais également la fève de cacao de Julien Alvarez... On voit vraiment l'évolution de ma cuisine à travers le temps.
Justement, comment votre cuisine a-t-elle évolué depuis vingt ans ? Quand je regarde les photos de mes plats d'il y a vingt ans, ma cuisine était beaucoup moins raffinée, même si on a obtenu la deuxième étoile un an après mon arrivée. J'estime qu'elle était déjà bonne et originale, mais moins dans l'élégance. Aujourd'hui, j'intègre beaucoup plus de légumes et propose même des plats végétaux.
Macaronis d'Eric Frechon
D'après vous, comment la cuisine a-t-elle évolué dans sa globalité depuis vingt ans ? Le métier a beaucoup changé ! La cuisine française s'est ouverte sur le monde ce qui, selon moi, n'est pas toujours une bonne chose. Je trouve important de garder ses racines. Je n'aimerais pas que l'on arrive à manger la même chose partout. Quand je vais dans un pays, j'aime découvrir des plats représentatifs et aujourd'hui, tout a tendance à se ressembler.
L'autre point essentiel est l'arrivée du bien-manger et du bien-être. Moi-même je me rends compte que j'ai envie de manger moins gras et ne pas sortir de table en me disant que j'ai trop mangé.
Après vingt années passées dans la même cuisine, comment faites-vous pour toujours trouver l'inspiration ? Tout cela se fait naturellement. Je change mes plats en fonction des saisons. Par exemple au printemps, je propose un plat à base d'asperge que je retravaille d'une année à l'autre, je la mets en concurrence avec deux ou trois autres recettes pour aller vers le haut, et si les nouvelles ne sont pas meilleures que l'ancienne, on maintient la recette initiale et vice versa.
Fèves de cacao de Julien Alvarez
C'est donc ça le secret pour conserver ses trois étoiles ? Toujours se remettre en question ? Oui je pense. Mais pour maintenir ce niveau, il faut aussi faire preuve de régularité et proposer un bon rapport qualité-prix. Les menus sont chers, mais les clients en ont pour leur argent.
Que représentent ces trois étoiles pour vous ? Je pense que c'est vraiment la reconnaissance d'une signature de cuisine. Contrairement à d'autres, avoir trois étoiles m'a épanoui... Ca a été une véritable libération dans la création.
Pour tout vous dire, je me suis inventé une quatrième étoile dans ma tête et je me dis chaque jour qu'il faut que j'aille la chercher pour viser toujours plus loin.
Pour vous aider dans cette quête, vous pouvez depuis toujours compter sur l'appui de votre adjoint Franck Leroy... Oui, il est même arrivé avant moi puisqu'il est au Bristol depuis 25 ans. C'est mon pillier ! On est comme un couple : on se regarde et on se comprend. On a le même palais. C'est important d'avoir une personne comme ça à ses côtés, qui connait notre exigence et qui est autant impliqué.
Comment travaillez-vous avec votre pâtissier Julien Alvarez, arrivé en 2017 ? On travaille en binôme. Il me fait goûter toutes ses créations et on les retravaille ensemble pour trouver une harmonie avec ma cuisine. J'aime les goûts assez francs, prononcés, et la mise en valeur du produit et ça, Julien l'a bien compris. Je respecte énormément son travail.
Vous avez formé de nombreux jeunes chefs qui volent aujourd'hui de leurs propres ailes. Avez-vous gardé contact avec certains ? Bien sûr. Je suis toujours en relation avec Fabien Lefebvre, qui est aujourd'hui MOF, mais également Amélie Darvas qui vient tout juste de décrocher sa première étoile pour Aponem, ainsi que Naoëlle d'Hainaut qui a aussi eu son étoile en début d'année.
On a même un groupe Facebook d'anciens du Bristol pour se donner des nouvelles.
Je suis content de voir comment chacun s'en sort. En tant que MOF, j'estime que mon devoir est de transmettre. C'est important de donner tout son savoir car les jeunes viennent ici pour ça.