Aux côtés de son emblématique rouget, L'Oustau de Baumanière, restaurant triplement étoilé des Baux-de-Provence, propose depuis 1987 un menu 100% légumier. Une offre très avant-gardiste, qui a germé dans l'esprit de Jean-André Charial, propriétaire des lieux, à une époque où la gastronomie rimait plutôt avec homard et foie gras.
Alors pourquoi, il y a plus de 30 ans, ce chef triplement étoilé a soudainement eu envie de faire la part-belle aux carottes, haricots, oignons et autres petits pois ? "Parfois c'est mystérieux la création", s'amuse Jean-André Charial. "Souvent je reviens en arrière et je me demande comment j'ai eu l'idée de faire ça."
Un voyage révélateur en Inde
Crédit photo : Virginie Ovessian
Mais en creusant un peu, les réponses arrivent assez vite. "C'est la conjonction de plusieurs choses qui m'a amené à faire ce choix très tôt", nous explique-t-il. "Déjà à l'époque, nous avions de grands potagers sur le domaine de Baumanière et quand on a des produits d'une qualité exceptionnelle, on a envie de les travailler."
"Le deuxième facteur, c'est un voyage que j'ai fait en Inde en 1985. J'ai été invité, avec d'autres chefs, par une grande chaîne d'hôtel. L'idée était de rencontrer les cuisiniers de l'hôtel pour leur donner des idées d'évolution car la cuisine indienne se résumait à beaucoup de ragoûts et des plats cuits et recuits, notamment pour des questions d'hygiène. Et finalement, j'ai aussi beaucoup appris", se souvient Jean-André Charial.
"A cette occasion, j'ai mangé pour la première fois de ma vie des repas sans viande et sans poisson, comme des dahl et des curry. J'avais trouvé ça très intéressant !"
Une clientèle américaine avant-gardiste
Depuis des décennies, L'Oustau de Baumanière accueille une clientèle internationale du monde de la culture, notamment des Etats-Unis, une nation toujours un peu en avance sur son temps et qui a inspiré Jean-André Charial.
"On avait une grosse clientèle américaine qui arrivait généralement à Paris, faisait quelques restaurants triplement étoilés, avant d'aller chez les Troisgros ou chez Bocuse par exemple. Quand ils arrivaient ici, ils avaient déjà fait 4 ou 5 restaurants gastronomiques et avaient envie de manger quelque chose de plus léger. Parmi cette clientèle, il y avait aussi une nouvelle génération comme Linda, la femme de Paul McCartney, qui était végétarienne, ce qui n'était pas courant à cette époque en France mais finalement assez répandu dans un certain milieu new-yorkais ou californien. Ca m'a aidé à penser à une cuisine différente", nous raconte-t-il.
Le menu légumier de Glenn Viel
Crédit : Virginie Ovessian
Lorsque Jean-André Charial a fait appel à Glenn Viel pour reprendre les cuisines de L'Oustau de Baumanière en 2015, il lui a laissé carte blanche pour exprimer sa personnalité dans l'assiette, mais à une condition : conserver le menu végétal.
"On s'est très vite bien entendu et il était tout à fait d'accord avec cela. Il a d'ailleurs créé un menu végétarien qui est sûrement l'un des meilleurs qu'on ait jamais fait ici", se réjouit-il.
Glenn Viel, qui a rapporté la troisième étoile à Baumanière début 2020, propose par exemple une Laitue serrée condimentée, cuite sous pression, qui marque les esprits même des plus carnivores. "Ca paraît tout bête dit comme ça, mais ça n'a rien à voir avec ce que l'on peut trouver ailleurs", souligne Jean-André Charial. Idem pour cette gourmande entrée Entre une pizza et une pissaladière, ou encore ces champignons cuisinés comme une viande, avec un jus au goût puissant. "L'idée c'est de prendre un produit assez banal pour en faire quelque chose d'unique !".
Brandon Dehan, chef pâtissier des lieux - élu pâtissier de l'année par ses pairs - s'amuse lui aussi à sublimer les légumes du potager pour réaliser des desserts hors du commun, comme cette carotte confite au miel, crémeux vanille et sorbet verveine ou encore le fenouil, servi croquant puis givré au citron avec une mousse de pomme verte. Une originalité qui fait mouche, même auprès des plus réticents.
Aujourd'hui, 20% des clients à L'Oustau de Baumanière se laissent tenter par le menu légumier de Glenn Viel, preuve que cette cuisine, qui ne s'adresse pas uniquement aux végétariens, à de beaux jours devant elle.