Arrivé au Relais Bernard Loiseau en 1982 à l'âge de 21 ans, Patrick Bertron est depuis 2003 le chef exécutif de La Côte d'Or, restaurant doublement étoilé des lieux.
Alors que son prédécesseur Bernard Loiseau mettait en avant des produits nobles et les grands classiques français, le chef d'origine bretonne a peu à peu imposé son style en apportant une cuisine de produits, de saveurs, gourmande, "épurée mais pas monocorde", avec des goûts francs relevés de quelques subtilités "qui ne viennent pas troubler mais sublimer la dégustation".
Comme beaucoup, Patrick Bertron privilégie les circuits courts et les produits de son terroir d'adoption, le Morvan. Cependant, la Bretagne est présente ici et là, "en clin d'oeil". "J'ai par exemple demandé à mon pâtissier de préparer une nougatine avec de la farine de sarrasin", nous raconte le chef. "Je sers aussi régulièrement des huîtres de Belon. Mais j'ai tout intérêt à ce qu'une grande partie des produits proviennent de Bourgogne. Si les clients font la démarche de venir ici, au milieu de nullepart, c'est pour goûter la cuisine du terroir de manière surprenante."
"Tout est une question d'équilibre. En 2017, je n'ai servi que des poissons d'eau douce à la carte, qui venaient des lacs et étangs du centre de la France. Mais les clients voulaient des poissons de mer. Aujourd'hui, l'un répond à l'autre sur la carte. Ainsi, les clients peuvent découvrir un poisson d'eau douce qu'ils ne connaissaient pas, tout en ayant le côté 'rassurant' du poisson d'eau de mer qu'ils connaissent déjà."
Crédit : Franck Juery
Mais arriver à un tel résultat ne s'est pas fait en un claquement de doigts. Comment Patrick Bertron, après vingt années passées auprès de son père spirituel Bernard Loiseau, a-t-il fait pour se détacher peu à peu de cette patte qui avait fait la réputation de ce chef emblématique ? Comment la perte de la troisième étoile en 2016 a-t-elle tout chamboulé ?
Fine Dining Lovers est parti à la rencontre de Patrick Bertron à Saulieu pour obtenir quelques réponses.
Comment avez-vous vécu cette passation soudaine entre Bernard Loiseau et vous en 2003 ? Contrairement à ce que l'on pourrait croire, je n'ai pas eu peur, mais ça m'a beaucoup interrogé. Pendant plusieurs mois, je me suis demandé si j'allais être à la hauteur de cet enjeu, si j'allais savoir manager une équipe, donner aux gens l'envie de travailler pour et avec moi, pour cette belle maison... Il a fallu que je trouve mon style !
Au-delà du management, comment se détache-t-on d'une empreinte culinaire aussi forte que celle de Bernard Loiseau ? Mon style ne s'est pas affirmé du jour au lendemain. J'ai commencé ici à 21 ans alors on n'efface pas tout d'un coup. Mais peu à peu, j'ai apporté des choses nouvelles, une cuisine avec des accroches différentes, pour finir avec quelque chose qui était complètement à côté de ce que l'on faisait avant. Certains habitués on été un peu chamboulés, mais il fallait avancer.
Cependant, le plus grand virage a eu lieu récemment, en 2016, lorsque nous avons perdu la troisième étoile. Avant cela, je proposais ce qu'on appelle la grande cuisine française, faite de grands produits que l'on retrouve sur toutes les grandes tables. Mais après cette étape, je me suis attaché à dénicher de bons produits plus originaux venus de Bourgogne. Par exemple, en ce moment, je cuisine la puntarelle, une sorte de salade que personne ne connaît. J'ai aussi quelqu'un qui va me chercher des herbes peu connues dans la nature comme du lierre terrestre. Grâce à cela, les choses deviennent tout de suite plus intéressantes.
Crédit : Aymeric Pinard
Récupérer la troisième étoile est un objectif ? L'objectif n'est pas de "récupérer" la troisième étoile car nous avons changé de style et évolué vers quelque chose de différent. Le but aujourd'hui est d'aller chercher l'étoile supplémentaire.
Pourriez-vous nous citer trois souvenirs marquants de votre carrière au Relais Bernard Loiseau ? Le premier est sans doute mon arrivée ici en 1982 et ma rencontre avec Bernard Loiseau, un homme extraordinaire qui a beaucoup apporté à la gastronomie mais qui m'a aussi beaucoup apporté à titre personnel. C'était quelqu'un de bon enfant, abordable et très paternaliste.
Le deuxième souvenir marquant est l'obtention de la troisième étoile en 1991. C'était l'aboutissement, le Saint Graal. Enfin, bien évidemment, je parlerais de la disparition de ce père spirituel qui a été bouleversante, mais qui a marqué pour moi le début d'une autre aventure.
Quels sont vos projets pour l'avenir ? Le premier projet est de continuer à satisfaire les clients et d'être toujours mieux noté dans les guides. Mais le prochain grand projet sera sans doute la passation. J'ai 57 ans et je réfléchis déjà à l'après. Je pense notamment à Blanche Loiseau, qui a fait sa formation à l'Institut Paul Bocuse et travaille aujourd'hui aux côtés de Reine Sammut. Mais je ne veux pas lui mettre la pression. Elle reviendra ici uniquement si elle le sent.
Où ? La Côte d'Or, Relais Bernard Loiseau, 2 rue d'Argentine, Saulieu.