Emmanuel Renaut fête cette année les vingt ans de son restaurant Flocons de Sel. Ce chef d'origine parisienne, "amoureux de la montagne depuis toujours", assure même avoir choisi Megève comme lieu de vie avant même de choisir sa carrière. "Si je n'étais pas cuisinier, je vivrais quand même à la montagne", s'amuse-t-il.
Aujourd'hui, Emmanuel Renaut se considère en toute modestie comme un guide de montagne qui invite ses clients à explorer les produits du terroir d'une autre manière. "J'essaye d'amener mon environnement dans l'assiette et de transmettre", explique le Meilleur Ouvrier de France 2004. "Il y a vingt ou trente ans, la cuisine de montagne avait la réputation d'être trop lourde, trop riche. L'idée, c'est de prouver qu'en utilisant les mêmes produits, on peut arriver à quelque chose de totalement différent."
Mais le chemin fut long avant d'arriver à un tel résultat. "Quand j'ai ouvert mon restaurant, je sortais de sept années passées auprès de Marc Veyrat. C'était assez compliqué de travailler dans le même secteur que lui, avec les mêmes produits, tout en me détachant de son identité culinaire", se souvient le chef triplement étoilé. Mais à force de rencontres, de balades et d'inspiration, le chef affine son style et décroche tous les honneurs.
FineDiningLovers a eu la chance de discuter avec Emmanuel Renaut juste avant sa conférence sur les bistrots au Chefs World Summit de Monaco. Rencontre.
Après vingt ans de carrière aux Flocons de Sel, comment définiriez-vous votre cuisine ?
C'est toujours compliqué de définir sa cuisine. Je dirais que j'ai une formation traditionnelle, j'aime les sauces, les jus et pas simplement la cuisine d'assemblage. De toute façon pour moi la tradition, c'est la base de tout. Il faut avoir des fondations solides pour se permettre ensuite d'être créatif et de "délirer", un peu comme un peintre qui va apprendre à simplement dessiner avant de peindre des toiles qui valent des millions.
Aussi, je suis très attaché à ce que nous offre la nature environnante. Il y a quelques années déjà, j'ai décidé d'arrêter les poissons de mer pour ne cuisiner que les poissons des lacs voisins. Au début, les clients me réclamaient du turbot et aujourd'hui, ce sont ces mêmes clients qui reviennent justement pour manger des poissons de lacs. C'est extraordinaire d'arriver à un tel résultat et de transmettre. Au cours de ces vingt dernières années, ma cuisine a beaucoup évolué mais ma clientèle aussi. Les gens sont devenus plus connaisseurs et plus ouverts.
Votre clientèle n'est donc pas majoritairement étrangère, comme on pourrait le penser ?
Non. Il y a un espèce de cliché à Megève. On pense que c'est un village ultra-chic avec beaucoup de Russes assez riches. En vrai, 70% de ma clientèle sont des habitués qui résident dans les 100km à la ronde. Ils viennent depuis de nombreuses années et on a grandi ensemble, on a créé une histoire.
Vous travaillez souvent les mêmes produits. Comment faites-vous pour vous renouveler ?
C'est assez marrant... Parfois il y a des choses qui me marquent et qui ressortent des années plus tard. Par exemple, je suis allé en voyage à Hokkaido (Japon) au milieu des années 90. Je me souviens que nous étions partis à la rencontre des Inuits et qu'ils m'avaient fait goûter de l'eau de bois. Il s'agissait de copeaux de bois torréfiés et infusés dans de l'eau, un peu comme du thé. Ce goût m'avait marqué mais il n'est vraiment réapparu dans mon esprit que dix ans plus tard. J'ai eu comme un déclic et j'ai travaillé cette technique pour un plat du restaurant. Je dirais donc que c'est tout ce que je vis qui m'inspire et fait que je me renouvelle.
Depuis plus d'un an, vous proposez des menus à -30% pour les moins de 35 ans. Pourquoi ?
Un jour je suis allé chez Marc Haeberlin et il lançait une opération similaire. J'ai trouvé l'idée géniale ! Quand on a trois étoiles et qu'on est Meilleur Ouvrier de France, il est parfois difficile d'attirer une clientèle jeune. Souvent, les jeunes pensent qu'ils ne vont pas se sentir à l'aise ou qu'ils ne vont pas avoir les moyens de pousser la porte de notre établissement. Avec cette opération, on attire des personnes qui, en temps normal, ne seraient jamais venues. C'est super de les voir arriver un peu sceptiques et les voir repartir complètement conquis.
En parlant des jeunes, quelle importance accordez-vous à la transmission ?
Pour faire un parallèle avec l'univers de la montagne, je dirais que je suis comme un premier de cordée. Je suis devant mais je ne peux pas arriver au sommet tout seul. On est tous ensemble, c'est un travail d'équipe, et j'ai la chance d'avoir des brigades merveilleuses.
Je me revois tout jeune, lorsque j'admirais Joël Robuchon qui avait trois étoiles et était Meilleur Ouvrier de France... Aujourd'hui, je suis dans le même cas donc même si mon métier me passionne toujours autant, je ne peux pas décrocher de titres plus prestigieux. En revanche, les jeunes qui travaillent avec moi ont tout à prouver. Ils sont dynamiques, progressent à une vitesse fabuleuse et j'adore former cette nouvelle génération. J'espère qu'un jour ils auront le même parcours de leur côté. En tout cas je fais tout pour.
A votre avis, pourquoi votre passion pour la cuisine est-elle encore aussi forte après toutes ces années ?
Au tout début de ma carrière j'aimais la cuisine mais je n'étais pas passionné. La passion est arrivée quand j'ai travaillé au Crillon aux côtés de chefs comme Jean-François Rouquette, Jean-François Piège, etc... On était une vraie famille et on l'est toujours. C'est à ce moment là que j'ai compris que la cuisine ouvrait des portes extraordinaires et permettait de rencontrer des gens fabuleux. Je suis parti de rien, je n'avais qu'un CAP en poche et aujourd'hui des grands hommes politiques, des sportifs de haut niveau et autres stars viennent dans mon restaurant et me remercient à la fin du repas. Ce n'est pas donné à tous les métiers ! Mais le plus beau, c'est que la cuisine rassemble toutes les couches sociales. Dans un monde pourri comme le nôtre à cause des problèmes écologiques et politiques, on fait rêver les gens, d'où qu'ils viennent, pendant quelques heures et je trouve ça génial.
Enfin, quelle expérience culinaire vous a le plus marqué dans votre vie ?
Je ne sais pas si on peut vraiment parler d'une expérience culinaire précise mais plutôt d'un ensemble. Par exemple, je suis un drogué des champignons. Quand c'est la pleine saison, je vais à la cueillette cinq fois par semaine. Je m'émerveille que la nature puisse faire quelque chose d'aussi parfait ! Trouver le premier cèpe de la saison est un vrai bonheur ! Quand je reviens avec mon panier plein, je suis heureux. Je ne me lasse jamais.
Où ? Flocons de Sel, 1775 Route de Leutaz, Megève.