Notre collaborateur Hugo McCafferty vit à Milan, ville italienne où le confinement est en cours depuis quatre semaines déjà. Il a interviewé Enrica, caissière dans un supermarché de la ville. Voici son témoignage touchant.
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L'épidémie de coronavirus est en train de nous rappeler l’importance que certains métiers ont dans notre société. Si médecins et personnel soignant sont des véritables héros qui luttent tous les jours contre cette pandémie, il ne faut pas oublier de remercier aussi d’autres travailleurs qui risquent leur santé et leur vie tous les jours pour que la chaîne d'approvisionnement alimentaire ne s’arrête pas en ce moment difficile. Souvent mal payés et sous-estimés, ils continuent à travailler même pendant le confinement.
En Lombardie, l’épicentre de l’épidémie en Italie et région italienne qui a connu le plus de décès dus à la maladie jusqu’à maintenant, un caissier de 48 ans est mort de COVID19 : cela nous rappelle le risque que certaines personnes prennent juste pour s'assurer que les rayons des supermarchés toujours sont bien pleins.
Il y a un sentiment palpable de peur et d'appréhension, qu’on peut percevoir dans les rues vides lorsqu’on quitte son appartement pour aller au supermarché. Inévitablement, on retrouve une file d'attente d'une vingtaine de personnes devant soi pour pouvoir entrer dans le magasin. On se prépare à passer une demi-heure très surréaliste, à deux mètres de distance des autres clients, avant d'être invité à entrer par l’agent de sécurité. Pour certaines personnes, celui-ci est seul contact qu'elles ont avec le monde extérieur. Alors que pour les gens qui travaillent dans les supermarchés, cela commence à devenir « normal ».
Des gens courageux qui « tiennent la chaîne ensemble »
Enrica travaille comme caissière supermarché à Milan. "Nous devons travailler beaucoup plus que d'habitude parce que nous manquons de personnel", dit-elle. "De nombreux collègues ont choisi de rester à la maison parce qu'ils pourraient avoir des problèmes de santé, d’autres parce qu'ils ont peur."
Et puis il y a les personnes comme elle, qui se sentent en devoir de travailler encore plus dans un moment comme celui-ci. Sans elles, la chaîne d'approvisionnement commencerait à s'effondrer assez rapidement, avec des conséquences inimaginables. Pour l'instant, ces gens courageux « tiennent la chaîne ensemble ».
"Il y en a pas mal qui tombent malades", explique Enrica. "Donc, ceux qui vont bien, comme moi, doivent compenser en travaillant plus. Dans cette situation, au fur et à mesure que le danger augmente, les gens commencent à être de plus en plus inquiets, y compris mes collègues."
Afin que les supermarchés puissent continuer à assurer la vente des produits alimentaires, il est nécessaire que leurs employés travaillent tous les jours. "La société pour laquelle je travaille a été assez compréhensive. Je ne sais pas ce qui se passe pour les personnes qui ont posé des congés, mais celles qui ont de graves problèmes peuvent rester à la maison."
Et bien sûr, avec la fermeture des écoles, certains travailleurs doivent s’occuper de leurs enfants. "Ceux qui ont des enfants et doivent rester à la maison avec eux, peuvent prendre des congés parentaux ou des congés non payés en fonction de l'âge des enfants. "
Quelles précautions pour les employés des supermarchés ?
Après le personnel soignant, ce sont probablement les employés des supermarchés à être les plus exposés au virus. Malheureusement, seules quelques précautions de base sont prises.
"L'entreprise nous a fourni des masques et un désinfectant pour les mains. Il faut prendre sa température tous les matins et si on a de la fièvre, il faut rester à la maison", explique Enrica. "Depuis cette semaine, nous avons reçu des barrières en plexiglas qui vont être installées devant les caisses, afin de garder la bonne distance entre nous et les clients. Et nous ne travaillons pas côte à côte."
L’importance de rester zen
En cette période de crise, on penserait que les gens deviennent beaucoup plus compréhensifs les uns envers les autres. Toutefois, tout le monde est stressé par cette situation, et parfois les personnes qui restent enfermés pendant des semaines ont les nerfs à vif.
"Il y a toujours des clients qui ne se comportent pas bien, et c'est la même chose maintenant. Il y a toujours ceux qui essaient d'en profiter. Certains essaient de sauter les files d'attente, de stocker des produits… et tout ce que vous avez probablement vu sur les réseaux sociaux. J'arrive au travail à 8 heures du matin et il y a généralement une file de 20 ou 30 personnes qui espèrent faire des achats avant que les stocks se terminent. Il y a des clients qui viennent tous les jours au supermarché. Il n'y a rien que vous puissiez faire."
"Après 30-40 minutes d’attente, quand ils arrivent enfin à entrer, certains clients prennent leur temps pour faire le tour du supermarché. Ils ne réalisent pas qu’il faut absolument accélérer son shopping, payer et sortir le plus rapidement possible pour minimiser le risque de contamination ! ", explique Enrica.
Des limites sur les achats
"Nous avons mis des limites sur les articles non essentiels - comme les plantes d'intérieur, par exemple – tout ce qui n’est pas de la nourriture. Cependant, cela embête certaines personnes… comme les enseignants, qui ont besoin de papeterie, ou les mères, qui ont besoin de fournitures scolaires pour leurs enfants".
"La police nous a donné des instructions claires, donc si les gens remettent en question la situation, je dois juste leur expliquer : c’est comme devant un feu rouge, il faut s’arrêter. Vous pouvez ne pas le respecter, mais si vous le faites, vous pouvez provoquer un accident. On peut juste prévenir les gens que s’ils achètent trop des articles non essentiels et qu'ils sont arrêtés par la police, ils risquent devoir payer une amende".
En Italie, en ce moment la règle est stricte : vous ne pouvez faire du shopping que seul, sans membres de la famille, enfants ou partenaires. La plupart des magasins ne laissent entrer qu’une personne à la fois. Mais il y a toujours des gens qui essayent de contourner les règles.
“Certaines personnes n’acceptent pas l’interdiction de faire du shopping ensemble, alors vous les voyez prendre deux chariots et faire semblant d’être des acheteurs uniques. Ils ont donc un chariot plein d'eau, l'autre plein de nourriture et quand ils sortent, bien sûr, d'autres personnes les voient et se s’énervent à leur tour“.
Il faut être très, très patient
“Hier soir, je suis rentré à 22 heures. Nous fermons le magasin à 21 heures, mais les gens continuent à entrer jusqu’à 20h55 et il faut bien attendre qu’ils terminent de faire leur shopping. “
“Pendant ces jours bizarres et exceptionnels, on voit quelque chose d'inattendu. Aujourd'hui, il y a eu un client qui, en plus d'un masque, portait un bonnet de douche transparent. J'ai vu des gens porter les masques de protection que portent les jardiniers, des gens portant des sacs poubelle avec des trous pour la tête et les bras… “.
«Il faut être très, très patient, plus que d’habitude. La chose la plus importante maintenant est que les gens se sentent en sécurité, alors nous faisons de notre mieux. »