Ne vous y trompez pas. Derrière son regard bleu perçant et son visage d'éternel adolescent, Eric Guérin est quelqu'un d'entier et de déterminé. Passé par les cuisines du Taillevent et de La Tour d'Argent à Paris durant sa jeunesse, le chef a vite compris qu'il lui fallait un endroit à lui pour exprimer toute sa créativité. Être vraiment libre.
Installé depuis 1995 à Saint-Joachim en Loire-Atlantique, le chef droit dans ses bottes revendique aujourd'hui une cuisine très personnelle et un style affirmé, qui lui ont d'ailleurs valu une étoile dès 2000 dans son restaurant de La Mare aux Oiseaux.
C'est dans ce havre de paix, au milieu des marais de la Grande Brière, qu'Eric Guérin exprime son talent, revendique ses convictions écologiques et fait transparaître son amour pour le voyage.
Rencontre avec un chef aussi passionné que passionnant.
Fin 2015, vous avez reçu le Prix Champagne Collet pour votre livre Migrations. Quand beaucoup de chefs se contentent d'un livre de recettes, vous avez imaginé un ouvrage qui invite le lecteur à découvrir de nouveaux horizons. Pourquoi ? C'est marrant car au départ, je suis allé voir les éditions La Martinière pour écrire un simple livre de recettes et marquer les 20 ans de La Mare aux Oiseaux. Mais je crois que je ne sais rien faire comme les autres ! Alors que je devais simplement envoyer des recettes et des morceaux de vie à l'éditeur, j'ai également envoyé quelques notes et photos que j'avais prises tout au long de ma vie. Le résultat devait être « trop fort » car au final, la personne en charge de la rédaction du livre n'a rien modifié et je me suis retrouvé à écrire moi-même l'ouvrage.
A travers ce livre, j'ai voulu partager 20 ans de création, mon évolution à travers la cuisine de mon restaurant.
Vous êtes d'origine toulousaine et êtes pourtant établi depuis plus de vingt ans en Loire-Atlantique. Qu'est-ce qui vous a fait craquer pour les Marais de la Grande Brière ? J'ai beau être né à Toulouse, je ne me suis jamais senti une âme plus toulousaine qu'alsacienne (origines du côté maternel) ou maintenant brieronne. La vie m'a transporté au travers de plusieurs lieux dont je revendique une certaine appartenance. J'ai découvert la Brière à 16 ans et j'en suis tombé raide dingue amoureux ! J'y ai passé toutes mes vacances d'ado et j'y ai vécu mes débuts de cuisinier à travers la pêche et la chasse.
Quand les murs de ce qui est aujourd'hui La Mare aux Oiseaux ont été en vente, je me suis installé ici sur un coup de tête. Mais je pense que la vie se construit comme ça, sur les moments où l'on décide d'avancer.
Donc vous n'envisagez pas de revenir un jour à Toulouse ? Non. Et à dire vrai, si on me laissait le choix de tout recommencer, je pense que je ne m'installerais même pas en France.
Vous êtes un grand voyageur. En quoi vos différentes expériences influencent-elles votre cuisine ? Une fois de plus, je n'aime pas faire comme tout le monde. Je ne pars pas en voyage pour goûter les cuisines des autres et découvrir leurs techniques. Pour moi, le voyage est quelque chose de culturel, d'émotionnel... C'est sortir de ce que je connais et de ce que je crois de la vie pour découvrir un aspect différent des choses.
Souvent, je divise mes voyages en deux, avec une partie plus spirituelle, où je peux passer des jours et des jours seul, au milieu de la jungle et des animaux, et une partie où je fais « n'importe quoi » dans une ville comme New York, qui grouille de monde et représente toutes les dérives de la société.
En cuisine c'est la même chose, j'aime travailler sur les contrastes. Et malgré tous mes voyages, je pense avoir conservé une écriture personnelle et gardé mon chemin. Vous savez aujourd'hui, on peut vite tomber dans la banalité en copiant les autres. Alors quand je pars à l'étranger, c'est pour rencontrer des gens qui vivent et pensent différemment, mais j'essaye toujours de conserver le regard qui est le mien.
Quel plat conseilleriez-vous à des touristes qui viendraient tester votre cuisine pendant leurs vacances en Loire-Atlantique ? Je pense que je conseillerais deux plats : Jeune Poireau façon “Morta“, caviar des champs et anguille fumée et le Fondant de poisson blanc, écrevisses et petits pois, confiture de boudin noir, émulsion de feuilles de figues fraîches.
Mais si je suis tout à fait honnête, je conseillerais plutôt un menu car pour moi, un repas est un ensemble de choses qui se répondent et se poussent. Il faut goûter plusieurs plats pour laisser la construction et le voyage se faire. J'ai d'ailleurs pris le parti de composer des menus avec beaucoup de plats pour emmener les gens quelque part.
Il se dit que vous dessinez toujours vos plats avant de les concevoir. Le côté artistique en cuisine est très important pour vous ? Complètement ! Je suis issu du milieu artistique, mes parents sont collectionneurs et aiment les belles choses. J'ai grandi dans une maison où les artistes défilaient. C'était un mouvement permanent ! Tous venaient présenter leur art et systématiquement, les conversations se terminaient à table pour partager et échanger autour d'un bon repas.
Plus jeune, je voulais faire les Beaux-Arts. J'ai d'ailleurs fait beaucoup de dessin et de sculpture. Mais mes parents m'en ont dissuadé en me disant qu'il était très difficile de vivre en tant qu'artiste. Au final, je me suis orienté vers la cuisine car pour moi, c'était une façon de recevoir du monde en créant des œuvres d'art éphémères. Aujourd'hui encore, j'aime travailler les produits bruts non nobles pour les transformer en quelque chose de beau et de bon.
Sur le site internet de La Mare aux Oiseaux, il est écrit que les clients peuvent "jeter un coup d'oeil en cuisine par le hublot ou pousser la porte, car ici ce n'est pas interdit". Beaucoup de clients osent franchir le pas ? Oui ! Des clients entrent en cuisine à pratiquement tous les services. J'ai également mis en place un concept inédit où les clients désireux d'apprendre peuvent intégrer les cuisines pour vivre le « coup de feu » d'un restaurant étoilé. Dans ces moments-là, même s'ils sont pressés, mes cuisiniers parlent, transmettent, échangent et partagent. Certains clients sont même revenus plusieurs fois et à force, sont devenus des amis. C'est une expérience très humaine.
Outre La Mare aux Oiseaux, vous possédez également un restaurant étoilé à Giverny. Avez-vous encore du temps pour vos autres passions comme l'art ou la chasse ? L'année dernière, pour les 20 ans de La Mare aux Oiseaux, je me suis un peu retrouvé en situation de burn-out. Je sais que c'est un mot à la mode mais disons que j'avais trop de projets et que l'essentiel m'échappait. Depuis un an, je m'impose donc un rythme pour être en congés fixes les lundi et mardi et passer moins de temps à l'extérieur dans les cocktails de presse et dîners organisés. Disons que j'ai délaissé le côté « com' » pour me consacrer pleinement à mes deux affaires et garder ma vie privée. Cela fonctionne pas mal et ça me fait du bien.
Vous arrivez à tenir ce rythme même en été ? En ce moment, les choses sont un peu compliquées. En Province, la saison s'étend principalement d'avril à fin octobre alors il faut tout donner durant ces quelques mois et recruter en amont. C'est d'ailleurs un peu difficile et je déplore aujourd'hui le manque d'engagement de certains jeunes qui démissionnent même en pleine saison pour profiter de leurs vacances et leurs indemnités chômage, ou qui refusent un poste pour les mêmes raisons.
A Giverny, le problème est différent. Nous faisons face à une réelle absence de candidats ce qui nous empêche d'exploiter l'été correctement.
Malgré cela, avez-vous des projets en cours ou à venir dont vous aimeriez nous parler ? J'essaye de freiner un peu mais on me propose beaucoup de choses. Il y a des projets que j'aimerais concrétiser mais au vu des circonstances, je suis en grande interrogation sur notre métier. De sérieux problèmes se posent mais personne ne s'en occupe. On est chacun dans notre coin sans solution... Alors j'attends un peu avant de décider si ces projets se réaliseront ou non.
Où ? La Mare aux Oiseaux, 223 rue du chef de l’île, Saint Joachim. Web