En 1910, des missionnaires français plantent un hectare de vignes autour d’une jolie église en pierre à Cizhong, un petit village de maisons blanchies sur les bords du Mékong dans le nord de la province rocheuse de Yunnan, au sud-est de la Chine. Venus dans le Yunnan pour convertir les peuples tibétains, ils doivent faire face aux moines bouddhistes, qui révoltés par l’arrivée de ces nouveaux « colons », saccagent et chassent la congrégation.
Les missionnaires se réfugient alors à Cizhong, protégés des vents féroces du plateau tibétain par une gorge de 100 mètres de haut. Ils plantent alors des vignes de miel de rose, une plante étiolée qui produit un raisin cramoisi, alors utilisé pour faire du vin de messe. Quelques années plus tard, la rouille des vignobles français aura pour conséquence l’extinction de ce raisin en Europe.
Malgré les 2000 mètres d’altitude, les terres médiocres et les hivers glaciaux de Cizhong, les vignes se sont développées et les raisins ont mûri, chaque mois de septembre, quelques jours avant que les forêts ne recouvrent les gorges de camaïeux de rouges et de jaunes de l’automne. La vinification était rudimentaire bien sûr, et la congrégation enterrait le jus de raisin avec des feuilles et des brindilles, dans des amphores en argile durant six mois pour en faire du vin.
Un siècle plus tard, les habitants de Cizhong produisent encore le vin des même vignobles, comme les missionnaires leurs avaient enseigné. Les résultats sont un peu rustiques. La maturation se fait dans un tonneau en bois, le miel de rose de dix ans a quelques caractéristiques d’un grand vin – une couleur cerise foncée avec un parfum aux notes de mûre et une texture sirupeuse, mais comme tous les vins de Cizhong, le miel de rose devient rapidement acide et se tourne en vinaigre. Alors que la Chine continue de développer son goût pour le vin rouge (la Chine est récemment devenue le plus grand consommateur de vin rouge devant la France et l’Italie), le gouvernement de la préfecture de Dêqên (d’où dépend Cizhong) espère exploiter l’histoire française de ce vin pour en faire le Bordeaux de Chine.
Des rangées de maisons mitoyennes gravées dans les pentes en dessous du Glacier de Mingyong de la Montagne Meili, jusqu’au paysages lunaires du village tibétain de Benzilan en passant par les forêts des vallées de Tacheng, les fermiers de Dêqên ont abandonné leurs cultures de blé et de maïs pour se consacrer aux vignes. Pour beaucoup d’entre eux, la viticulture est une poule aux œufs d’or qui leur permet de gagner des revenus plus élevés de 300-400% qu’en récoltant le maïs ou le blé.
Cependant ce vin ne fait pas l’unanimité des connaisseurs. Pour Brendan Galipeau, qui a mené des recherches sur l’économie du vin de la préfecture pour sa dissertation en anthropologie, « c’est une valeur haute, mais très risquée. » Beaucoup d’agriculteurs gagnent plus d’argent avec le vin mais les logistiques et les changements climatiques ne sont pas propices pour en faire une entreprise durable. «Vous pouvez manger du maïs et du blé, » explique-t-il. « Vous pouvez vous en servir pour nourrir vos animaux, mais vous ne pouvez pas vivre de raisin.» Jusqu’à présent le marché était dominé par des vignerons locaux, Shangri-La et Sunspirit, qui ont tous deux planté des vignes il y a dix ans pour produire des vins bas de gamme pour le marché chinois. Plus récemment, Moët Hennessy (producteur de Dom Pérignon et du Premium Cru Supérieur Château d’Yquem) a fait l’acquisition de 30 hectares de raisins de Cabernet Sauvignon, Merlot et Cabernet Franc dans le village de Benzilan. La marque française prévoit de lancer le premier millésime cette année avec un office du tourisme, ce qui pourrait inscrire Dêqên sur la liste des grands vins du monde.