Les 26, 27 et 28 novembre dernier, Monaco est devenu le centre du monde culinaire grâce au Chefs World Summit. Pendant trois jours, le Forum Grimaldi, situé sur le front de mer, a accueilli des centaines de chefs venus des quatre coins de la planète pour remettre le prix du meilleur chef du monde à Michel Troisgros, mais aussi organisé de nombreuses conférences sur la gastronomie.
L'un des thèmes abordés le lundi 27 novembre portait sur le concept de la carte blanche au restaurant, dans ces établissements qui propose des menus à l'aveugle. Alors, tendance durable ou éphémère ? Alexandre Mazzia (AM, Marseille), Paul Pairet (Ultraviolet, Shangaï), Pascal Barbot (L'Astrance, Paris) et Shinobu Namae (L'Effervescence, Tokyo), quatre experts de la carte blanche, ont débattu pendant près d'une heure sur l'intérêt d'une telle proposition, tant pour le chef que pour le client, mais aussi de l'accueil de la critique.
1. La carte blanche : les avantages pour les chefs
1. La maîtrise du temps
Selon les quatre chefs présents, l'un des principaux intérêts de la carte blanche est la maîtrise du temps. "C'est absoluement essentiel pour cuisiner au meilleur niveau", assure Paul Pairet. "Quand on fait comme moi un menu en 20 services, les plats imposés sont une nécessité. Si tout le monde commande des entrées ou des plats différents, on ne s'en sort pas."
"Quand on a ouvert L'Astrance il y a 18 ans, on propose 2 entrées, 2 plats et 2 desserts", se souvient Pascal Barbot. "C'est peu, mais déjà trop pour aller jusqu'au bout des choses et vraiment prendre du plaisir dans ce qu'on faisait car cela nous prenait trop de temps. Petit à petit, on est arrivé au menu unique, à l'aveugle, et c'est un gain de temps énorme."
2. Se concentrer sur l'essentiel
Shinobu Namae a ouvert son restaurant L'Effervescence il y a sept ans, juste après la catastrophe du tsunami au Japon. Pour lui, le concept de la carte blanche était vital. "A cause des événements, je n'avais pas accès à beaucoup de produits. Tout avait été détruit. Je devais donc faire avec ce que j'avais et n'avais pas la possibilité de proposer beaucoup de plats. Cela m'a permi de me concentrer sur l'essentiel", explique le chef.
Une idée que partage Alexandre Mazzia, qui ajoute que la carte blanche est également un moyen d'avoir accès aux meilleurs produits. "Ce n'est pas moi qui commande mes fruits ou légumes, ce sont les producteurs qui amènent ce qu'ils ont de mieux à un moment T. La carte blanche nous permet une grande flexibilité. On s'adapte à ce qui arrive."
3. L'équilibre du menu
D'après les chefs présents, la carte blanche permet d'offrir au client un menu cohérent, tout en équilibre. "Grâce à cela, on n'est pas obligés de créer un plat équilibré puisque c'est le reste du menu qui va harmoniser l'ensemble", assure Paul Pairet. "Dans un menu à 20 plats, on doit avoir une cohérence du début à la fin, on doit s'imposer un fil conducteur. Il me faut environ un an pour concevoir ma 'carte noire' et tout est bien pensé."
4. Une plus grande créativité
Pratiquer le concept de la carte blanche permet aussi aux chefs d'exprimer davantage leur créativité. "Je me sens moins enfermé, plus libre mais aussi plus calme", assure Alexandre Mazzia.
2. La carte blanche : l'accueil des clients
1. Être pédagogue
"Au tout début de la carte blanche, nos clients étaient plutôt réticents", se rappelle Pascal Barbot. "Le tout, c'est de bien expliquer aux gens et de les mettre en confiance. Pour cela, on leur demande bien sûr s'il y a des ingrédients qu'ils n'aiment absolument pas ou s'ils ont des allergies. Après, ils doivent se laisser guider."
Même son de cloche chez Alexandre Mazzia, qui explique qu'au début, l'accueil de son menu à l'aveugle était plutôt mitigé. "Les clients étaient dubitatifs. On a dû les rassurer. A l'époque, j'ai reçu un client très fermé et réticent à l'idée de ne pas savoir ce qu'il allait manger. Aujourd'hui, c'est l'un de mes plus grands habitués", assure le chef.
2. La carte blanche hors des grandes villes, c'est possible ?
Selon Pascal Barbot, le principe du menu à l'aveugle peut tout à fait s'appliquer ailleurs que dans les grandes villes, à condition de respecter certaines règles. "Il faut s'imprégner de l'atmosphère", souligne le chef de L'Astrance. "En fonction de l'endroit où l'on se trouve, il faudra adapter les portions, le prix, le temps que le client doit passer à table... Mais c'est tout à fait possible!"
Un point de vue partagé par Alexandre Mazzia, qui soutient que "si on ne propose pas, on ne changera jamais rien". "Du moment qu'on crée un lien avec sa clientèle, il n'y a pas de raison que ça ne marche pas", ajoute le chef d'AM.
Cependant, "il ne faut surtout pas arrêter la carte classique", conclut Pascal Barbot. "On n'a pas toujours le temps ni l'envie de passer des heures à table donc il faut de tout pour satisfaire tout le monde."