Fleur de pierre noire est une autre appellation du kalpasi ou dagarfu, un des lichens les plus utilisés par les chefs de cuisine qui sont de plus en plus intrigués par ce formidable ingrédient. Mais qu’est-ce que le lichen, exactement ? Les lichens sont des organismes symbiotiques dont la capacité de liaison demeure efficace même associés à d’autres ingrédients.
Quant aux lichens proprement dits, nous tendons à les associer aux endroits les plus reculés de la planète, ce qui n’est pas du tout le cas. Il est vrai que certaines espèces n’ont jamais été jugées comestibles, sauf que dans des conditions particulièrement rudes ou pour des régimes alimentaires très pauvres, tel que cela peut-être le cas dans des régions d’Europe du Nord, où elles tenaient lieu de denrées de base, comme par exemple l’Umbilicaria, qui pousse sur les rochers. Les premiers explorateurs de l’Amérique du Nord l’avaient surnommée « tripe-de-roche », car ils en mangeaient de grosses quantités par pur désespoir. La raison de la popularité assez basse des lichens du point de vue alimentaire n’est un mystère pour personne : beaucoup d’entre eux sont peu nourrissants, voire indigestibles ou vaguement toxiques. Or, ce n’est pas le cas pour leurs « clients » principaux : les cervidés américains, les rennes et les caribous. Et c’est de leur estomacs même qu’arrive le lichen qui nous est servi au restaurant. Car, en effet, les lichens prédigérés sont apparemment plus doux.
Il n’est pas facile de décrire le goût des lichens. Cela dépend en grande partie de la variété et de la façon dont ils ont été préparés. En principe, leur fragrance est vaguement champignonnée – certains la comparent à celle des truffes – quoiqu’un peu plus intense et légèrement amère. Mais comment se fait-il que cette tendance ait conquis les chefs de cuisine, surtout les Britanniques? René Redzepi, chef du restaurant Noma, a certainement contribué à donner une allure gourmande à cet ingrédient. Plus généralement, cela dépend peut-être de l’influence de la cuisine scandinave – qui connaît une popularité croissante au niveau international – et de la nourriture que l’on consomme en Asie, où les lichens sont considérés comme une délicatesse. Certaines espèces attentivement sélectionnées peuvent s’avérer exquises et avoir aussi des bienfaits pour la santé, sans oublier pour autant que leur sensibilité aux facteurs environnementaux les rend prônes à en subir des conséquences négatives et à absorber des polluants.
L’Umbelicaria mentionnée plus haut est une variété d’Esculenta communément appelée « oreille des roches » dans la cuisine chinoise et « champignons des roches » par les Japonais qui l’adorent. Similairement, la Fleur de pierre noire est un ingrédient très apprécié de la cuisine de l’Inde du Sud, surtout dans les régions de Hyderabad et Chennai. Il y a aussi la Cladonia rangiferina, autrement dite lichen/mousse des rennes, une espèce qui est prélevée directement de l’estomac de ces animaux morts. Enfin, on doit mentionner la Bryoria fremontii, ou Wila, très aimée des Indiens d’Amérique qui la récoltent à même le sol, et qui la préparent après l’avoir laissé égoutter. Le lichen est un des ingrédients célébrés dans le nouvel ouvrage de la chef de cuisine Michèle Genest, une indienne d’Amérique descendante de Whitehorse, The Boreal Feast: A Culinary Journey Through the North (La Fête Boréale : un voyage culinaire à travers le Nord). Wila est aussi utilisée pour aromatiser l’Aquavit scandinave. Et par-dessus le marché, en 2015, en ligne avec la tendance en cuisine à rechercher des ingrédients qui seraient en mesure de remplacer les houblons pour aromatiser la bière, nous pouvons nous attendre à trouver quelques traces de lichen lorsque nous ouvrons une bouteille.