Ce vendredi 23 avril, quatre astronautes, rejoindront la Station Spatiale Internationale (ISS) à bord d'un vol Space X. Parmi eux : Thomas Pesquet, qui a déjà effectué un premier séjour en 2016/2017, et qui sera le premier commandant de bord français. Pour ce deuxième voyage dans l'espace, l'astronaute emportera avec lui quelques plats concoctés spécialement par le chef étoilé Thierry Marx et Raphaël Haumont, chercheur en physico-chimie des matériaux et professeur d'université où il développe la cuisine du futur. Invités de l'émission Quotidien le 8 avril dernier, le duo a expliqué à Yann Barthès et son équipe les contraintes liées à la préparation de plat destinés à être consommés dans l'espace et le travail de fourmi que cela implique.
"La cuisine, c'est de la chimie"
Si Raphaël Haumont s'est concentré sur la transformation de la matière première, Thierry Marx s'est penché sur les recettes, le goût et les émotions que peuvent procurer un plat, tout en utilisant ses connaissances en cuisine moléculaire. "À l'époque où je m'étais vraiment lancé là-dedans, ça a été critiqué. C'était vu par beaucoup comme une facture dans le monde de la gastronomie alors que je voyais plutôt cela comme une boîte à outils nous permettant de mieux comprendre un certain nombre de mécanismes de transformation des produits. Grâce à cela, j'ai pu me rapprocher de l'univers des sciences." Sans aller jusque-là, le chef rappelle également que la simple cuisson d'un oeuf, qui passe d'un liquide transparent à un état solide et blanc après quelques minutes dans l'eau, est déjà semblable à de la chimie.
Si ces données ont été utiles pour le chef et le chercheur, c'est parce que concevoir des plats qui seront consommés dans l'espace apporte son lot de contraintes, à commencer par l'agueusie de Thomas Pesquet. "Dans l'espace, on ne sent pas les goûts, c'est comme si on était enrhumé. Du coup, il faut révéler les saveurs sans utiliser d'exhausteur de goût", explique Thierry Marx. Pas question non plus d'ajouter des épices en poudre, car aucune poussière ne doit s'ajouter dans les préparations. "On a mis au point en laboratoire une eau de poivre au poivre des Cymes. Il s'agit d'un procédé qui permet d'extraire au maximum les saveurs et de les retrouver à l'état liquide", explique Raphaël Haumont.
Aussi, Thierry Marx a dû imaginer des plats sans trop de sel, de gras et sans sucre. "Il faut voir les astronautes comme des sportifs de haut niveau", assure le chef. "Thomas sera confiné pendant six mois là-haut et la prise de poids n'est pas envisageable." Thierry Marx a ainsi revisité un gâteau amandine sans sucre. Après de nombreuses expériences, Raphaël Haumont a trouvé la solution en travaillant sur les pectines de fruits. "On va par exemple cuire une peau d'orange pour libérer les pectines, qui ont une action gélifiante dans les confitures, avant d'y ajouter de l'eau riche en calcium. En mélangeant les deux matières, on obtient une texture proche de celle d'une marmelade, instantanée et sans sucre. C'est un liant parfait pour les gâteaux sans sucre", se réjouit le chercheur. "C'est également une confiture qui peut être consommée par un diabétique", ajoute Thierry Marx.
Pour les contenants, là aussi, les choses n'ont pas été simples, car Thomas Pesquet ne peut pas se permettre d'accumuler des déchets plastiques dans l'ISS. Les différents plats, comme le boeuf cuit 7h aux champignons "pasteurisé et sur-pasteurisé", seront présentés dans des conserves de l'entreprise bretonne Hénaff, désormais spécialiste du sujet. Raphaël Haumont a également réfléchi à la conception d'emballage non plastifié pour les liquides. "On a étudié le biomimétisme. Dans la nature, la tomate a une membrane très fine qui protège l'intérieur constitué de 95% d'eau. On n'est pas loin d'une bouteille d'eau finalement, avec un emballage naturel. Aujourd'hui, on essaye modestement de reproduire ce que fait la nature, avec des algues et des pectines. On a réussi à encapsuler 33cl d'eau dans une membrane végétale, entièrement biodégradable et qui peut même être consommée", explique le Raphaël Haumont.
Des recherches qui serviront pour les astronautes mais qui pourraient également révolutionner nos modes de consommation sur Terre...