Alors que de nombreux gourmets se demandent encore s'il est prudent ou non d'aller au restaurant en cette période de crise sanitaire, Alain Ducasse met tout en oeuvre pour rassurer ses potentiels clients. Outre le port du masque pour le personnel et la distanciation des tables, le chef multi-étoilé a souhaité aller plus loin dans son restaurant Allard, en inventant une savante installation de gaines faisant souffler de l'air neuf, et une autre assurant un filtrage de l'air, tout en conservant l'aspect convivial des lieux.
Pour ce faire, Alain Ducasse s'est entouré d'une équipe de choc : son designer Patrick Jouin et son architecte Arnaud Delloye. Ensemble, ils imaginent une solution pérenne pour accueillir les clients en toute sécurité et demandent l'avis du professeur Thomas Similowski, chef de service de pneumologie, médecine intensive et réanimation de la Pitié-Salpêtrière, et du professeur Jérôme Robert, chef de service de bactériologie et d'hygiène hospitalière. Dans un premier temps, leur proposition n'est pas suffisante.
"C'est l'air qui porte les aérosoles potentiellement chargés du virus", expliquent-ils. Il faut donc trouver une solution pour contrer ce danger potentiel.
"Prenons une image : le vente qui souffle. On sait que le phénomène est provoqué par la différence de pression entre une zone de haute pression atmosphérique (un anticyclone) et une zone de basse pression (une dépression). De la même façon, limiter drastiquement la vitesse de déplacement de l’air dans une salle exige d’établir et de maintenir une pression d’air identique en tous points de la salle. Pour rendre le problème encore un peu plus complexe, il faut aussi, en même temps, renouveler l’air pour qu’il reste respirable et à la bonne température. Les deux exigences sont contradictoires : pour renouveler l’air, il faut en souffler et en extraire, ce qui crée une dif- férence de pression. La solution imaginée par Arnaud Delloye est un Meccano savant qui repose sur deux piliers : l’équilibre aéraulique dynamique et la filtration."
"L’équilibre aéraulique est obtenu par l’installation, à 2,20 m au-dessus de chaque table, d’une bouche de soufflage d’air neuf et d’une bouche d’extraction individuelles. Toutes ces bouches sont dotées d’un module de régulation qui permet d’équilibrer automatiquement les apports et les débits de façon parfaite. Les bouches de soufflage d’air neuf sont équipées de chaussettes filtrantes dont la surface (supérieure à 100 cm2) a été calculée pour assurer une vitesse extrêmement basse (0,07 m/s) et une diffusion uniforme de l’apport d’air. La filtration de l’air est assurée à la fois dans le réseau d’apport d’air neuf et dans celui d’extraction. Cette installation, additionnée à l’effet des paravents entre chaque table et des séparateurs au centre de chaque table permet de maintenir une vitesse de déplacement d’air inférieure à 0,1 m/s en tous points statiques, c’est-à-dire mesurée aux places occupées par les clients immobiles. Chaque convive se trouve ainsi dans une sorte de bulle d’air dynamique quasiment autonome."
Au total, ce sont 120 mètres de gaines en acier galvanisés qui ont été aposés au plafond du restaurant. "Nous aurions pu peindre ces gaines ou les cacher sous des coffrages, mais on a préféré les assumer. Ils s'imposent dans la salle, mais rapidement tout le monde l'oublie", assure Patrick Jouin dans le journal Le Parisien.
Des paravents entre les tables
Pour assurer toujours plus de sécurité aux convives sans trop éloigner les tables, Alain Ducasse a également fait installer des paravents qui se fondent dans le décor. "L'option des paravents et des centres de table sont la bonne façon de conserver le maximum de couverts dans la salle de restaurant et de faire obstacle à la circulation des aérosols, complètement indispensables à la gestion du flux d'air", explique Patrick Jouin. "En espaçant les tables d'un mètre, on perd pratiquement la moitié de l'activité, ce qui n'est pas tenable. Les paravents, eux, autorisent une utilisation à plus de 80% de la capacité et permettent une certaine flexibilité dans la configuration de la salle."
Un protocole validé par les experts
Le 2 juin dernier, Arnaud Delloye et Patrick Jouin ont reçu deux organismes mandatés pour valider le prototype, qui a reçu l'approbation officielle des experts le 5 juin dernier.
Au total, le groupe Alain Ducasse a investi 45.000 euros pour mettre ce système en place et conserver les 18 salariés qui eux, portent bien évidemment un masque pendant tout le service.
C’est avec humilité et une certaine appréhension qu’Arnaud Delloye et Patrick Jouin reçoivent in situ, le mardi 2 juin à 18h, les deux organismes man- datés pour valider le prototype à échelle 1. La mis- sion a été confiée à UTeam. Un e-mail de Stéphane Pimbert, Directeur Général de l’INRS (Institut natio- nal de recherche et de sécurité), daté du 28 mai, lais- sait préjuger d’un résultat satisfaisant « Nous vous confirmons donc à nouveau que votre projet tel qu’il est décrit dans la note de synthèse nous parait rigou- reux, sérieux, et de nature à permettre une très forte réduction du risque de transmission du virus dans une salle de restaurant. » Les résultats du Rapport UTeam du 5 juin 2020 confirment pleinement la validité du modèle par des mesures en conditions réelles.