L'année fut chargée pour le chef catalan Albert Adrià. Après que l'annonce surprise de la fermeture de son groupe elBarri en avril, Adrià a récemment fait l'actualité, mais cette fois avec une annonce beaucoup plus joyeuse : en partenariat avec le célèbre chef Alain Ducasse, il s'apprête à diriger un nouveau restaurant à Paris.
ADMO* devrait ouvrir ses portes le 10 novembre, et le public pourra enfin déguster un menu conçu par deux des chefs les plus renommés de notre ère - "comme si Messi rejoignait Ronaldo", comme Adrià l'a résumé dans un post sur Instagram. Pensé comme un restaurant éphémère, le projet permettra au duo de travailler ensemble pour la première fois de leur carrière remarquable. « Il y aura 100 services pendant 100 jours, ce qui correspond à peu près à 4 mois », explique-t-il.
Dans une interview exclusive accordée à Fine Dining Lovers, Albert Adrià a expliqué en détail comment l'idée est née : "Alain [Ducasse] m'a appelé en disant : 'écoute, j'ai entendu dire que tu avais fermé elBarri, et je sais que tu n'as toujours pas l'intention de rouvrir. De mon côté, j'ai aussi quitté le Plaza Athénée, alors pourquoi ne pas nous amuser ? J'ai ce bel endroit, à seulement 150 mètres de la Tour Eiffel, dans un bâtiment conçu par Jean Nouvel. Faisons-y un pop-up. Si ça se passe bien, on ira plus loin."
Ces dernières semaines, Adrià et son équipe se sont consacrés à la création des plats qui composeront la nouvelle carte du restaurant, qui devrait représenter "une intersection entre nos cuisines", comme il l'explique. Dans quelques jours, ils doivent se retrouver à Paris pour régler les derniers détails de l'ouverture. « Ce seront des plats exclusifs, créés uniquement pour le nouveau projet. Nous travaillons dur pour fabriquer des roues, des moteurs et des châssis. Mais nous ne savons toujours pas à quoi ressemblera la voiture », ajoute-t-il.
Le chef catalan a également dévoilé son intention de poursuivre son héritage dans sa ville natale : Enigma, l'un de ses restaurants les plus primés, devrait rouvrir en mars, pour environ huit mois. Après cette période, il fermera à nouveau pour qu'Albert puisse aider son frère aîné Ferran Adrià à servir les premiers invités d'elBulli 1884 dans le célèbre bâtiment de la mythique Cala Montjoi. Le chef y organisera des expériences uniques dans l'enceinte même de l'ancien elBulli, autrefois considéré comme le restaurant le plus influent du monde.
Pour l'instant, le chef se concentre sur le défi de créer un menu qui puisse faire la différence dans une autre adresse et entrer dans l'histoire de la capitale la plus gastronomique du monde. « Pour moi, c'est comme un cadeau après tout ce que nous avons vécu pendant la pandémie : pouvoir recommencer notre périple à Paris, aux côtés de Ducasse, dans un projet face à la Tour Eiffel. Je ne pouvais pas demander plus.
Retrouvez ci-dessous les propos d'Albert Adrià concernant ses différents projets.
Sur le nouveau restaurant à Paris
« Nous [son équipe et celle de Ducasse] nous sommes réunis à trois occasions pour discuter d'idées et en apprendre davantage sur leur philosophie. Après tout, nous sommes les invités là-bas. Nous voulons faire quelque chose de collaboratif, pas seulement deux choses qui vont bien ensemble. Nous auront deux menus, un plus court et un plus long. Le menu court comprendra 12 plats, et le plus long peut atteindre 15 plats et aura du caviar, de la truffe, du homard, etc. Rien ne manquera. J'ai déjà plus de 3500 recettes, mais nous allons créer des plats complètement nouveaux pour ce projet, et ils [l'équipe de Ducasse] font de même. (Le chef interrompt la conversation pour déguster une recette apportée par l'un de ses cuisiniers : un goûter d'anchois au beurre. "C'est délicieux, mais il y a quand même beaucoup d'anchois", dit-il). Dans deux semaines nous nous retrouverons à Paris pour montrer le travail que chaque équipe a fait. Jusque-là, je n'ai aucune idée de ce qui sera au menu, mais nous sommes enthousiasmés par les perspectives."
Sur la cuisine française et son influence sur sa carrière
« J'ai grandi très proche de la cuisine française car j'avais l'habitude de visiter la France trois ou quatre fois par an. Ma formation initiale de cuisinier était dans faite des techniques françaises, donc je me sens très à l'aise en France et dans la cuisine française. Nous voulons travailler avec ses références, comme dans les sauces françaises et d'autres ingrédients qui ont influencé mon style de cuisine. Je pense qu'en ce moment la France traverse une phase passionnante en absorbant d'autres cuisines étrangères. J'ai vu beaucoup de choses de l'Inde et du Japon dans les restaurants. La cuisine française s'est de plus en plus ouverte, avec de nombreuses options, avec plus d'adaptabilité."
Sur l'internationalisation de sa carrière
"Nous avons d'abord commencé de véritables projets à l'étranger à Londres, avec Cakes and Bubbles. Nous avons ouvert peu de temps après la pandémie, mais fonctionne très bien. Nous avons récemment ouvert Little Spain, avec notre ami José Andrés, à New York, qui a rencontré un succès instantané. J'étais là quand la pandémie a été annoncée à l'échelle mondiale, alors je suis retourné à Barcelone pour initialement fermer mes restaurants pendant deux semaines. Mais on s'est retrouvé en confinement pendant trois mois, c'était fou. Ça ne fait pas un mois qu'on a rouvert aux USA, et ça se passe très bien aussi. Notre prochain objectif c'est Paris, et j'espère qu'on pourra garder le bon pronostic sans avoir à affronter un autre [confinement]. »
Sur Barcelone et l'avenir post-pandémique de la ville
"Barcelone a les caractéristiques d'une ville très attrayante pour un touriste : elle offre le meilleur de la Méditerranée dans une grande ville. Ciel bleu, mer, architecture et bonne bouffe. Je dis toujours que la gastronomie est l'une des plus belles façons de comprendre une destination. Je pense que Barcelone a parfois choisi la voie du tourisme de masse, à tort : nous avons eu 13 millions de visiteurs en 2019, ce qui est beaucoup. Mais bien sûr, mon histoire à Barcelone continue, maintenant d'une manière différente. C'est très complexe à expliquer. Bref, les restaurants avaient des partenariats différents : Pakta et Tickets étaient des restaurants que je possédais avec mes anciens partenaires [les frères Iglesias], et nous avons dû dissoudre le partenariat. Ces projets ne rouvriront pas ; Je peux pas les rouvrir aux mêmes endroits. Mais je ne peux pas dire que je rouvrira pas ailleurs dans Barcelone, à Londres ou à Lisbonne, dans un ou deux ans. On ne sait jamais. Le chef Paco Mendes rouvrira le restaurant mexicain [Hoja Santa], mais on ne sait pas quand. Ce que nous savons avec certitude, c'est qu'Enigma rouvrira au plus tard en mars 2022."
Sur les pop-ups comme l'avenir des restaurants
"Enigma rouvrira sous forme de pop-up, essayant de s'équilibrer entre réalité actuelle et future, car nous sommes confrontés à une période sans précédent et je comprends que les choses ne soient pas comme avant. Je ne sais pas si nous aurons 30 personnes qui seront prêtes à payer 250 euros pour dîner l'année prochaine. Mais je suis sûr que je trouverai 100 personnes qui en paieront 80. Nous avons pensé ouvrir en pop-up de mars à octobre. Si elBulli rouvre en tant que restaurant, ce serait à l'automne de l'année prochaine - entre septembre, octobre ou novembre 2022. Il sera ouvert pendant un mois. ElBulli, il est important de le dire, n'ouvrira que pour des événements, pour accueillir des entreprises qui collaborent avec la Fondation et des invités, il ne sera pas ouvert au public. Pour moi, le format pop-up nous donne plus de liberté. Aussi, cela nous permet de tester la réalité, de créer des formats qui s'adaptent à l'époque, comme l'a fait René [Redzepi], qui a fait pivoter Noma dans un concept axé sur le hamburger jusqu'à ce qu'il puisse enfin rouvrir le restaurant. Par exemple, nous envisageons de créer un espace cocktail où vous pourrez dîner, ce que nous avions déjà testé en 2011. Ce serait une manière de stabiliser économiquement les choses après toute l'expérience que nous avons vécue avec l'ouverture de neuf restaurants. Si cela fonctionne bien, nous ferons perdurer les choses. Tout comme ce que nous voulons faire à Paris : ouvrir dans un premier temps un restaurant éphémère pour, on l'espère, le pérenniser par la suite."