André Chiang est une véritable rock star de la cuisine. En tournée dans le monde depuis une dizaine de jours, le chef taïwanais, propriétaire du restaurant André à Singapour, était en France ces 20 et 21 juin pour présenter son nouveau livre, Octaphilosophie, les huit éléments du restaurant André.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'André Chiang n'a pas fait les choses à moitié. Pour faire connaître son premier ouvrage traduit en français, le cuisinier a en effet proposé trois repas d'exception au Porte 12, son restaurant parisien, préparés à quatre mains avec Vincent Crepel.
C'est donc à l'issue de l'un de ces déjeuners, auquel ont assisté ses anciens mentors les frères Pourcel, qu'André Chiang a accepté de nous rencontrer.
Dans un français impeccable, le chef nous en a dit plus sur sa philosophie en cuisine et son envie d'aller toujours plus loin.
Comment définiriez-vous en quelques mots à nos lecteurs votre notion d'"octaphilosophie" ? L'octaphilosophie, ce sont les huit points essentiels de ma cuisine. Beaucoup de chefs, moi y compris, cuisinent à l'instinct, comme ils aiment, et dans toutes ces créations, des personnalités et des produits se croisent. Aujourd'hui, je sais que mes menus reflètent huit éléments essentiels : la pureté (le goût de la simplicité), l'artisanat (les produits et leur histoire), la mémoire (l'intemporalité des plats), le sel (la mise en valeur des produits), le Sud (le Sud de la France célébré), le terroir (les trésors de la terre), la texture (le voyage sensoriel) et l'unicité (l'alliance inédite d'ingrédients).
Quel est le plat le plus représentatif de votre cuisine présenté durant ces trois repas au Porte 12 ? Le Camembert à ma façon. C'est un plat que j'ai créé il y a deux ans et qui pour moi a changé les règles du jeu. En fait, le fromage est le seul plat pour lequel les chefs n'ont pas d'efforts à faire. L'artisan fait tout le travail et nous on le sert simplement sur une assiette. Alors je me suis demandé quel caractère je pouvais apporter au fromage et j'ai imaginé un dessert, avec un bavarois de lait déshydraté qui présente une croûte comme le fromage que je sers avec une glace au foin. Mon but était que tous les convives d'une même table, d'où qu'ils viennent, puissent apprécier cette tradition française.
Durant votre tournée internationale pour présenter votre nouveau livre, vous avez cuisiné à New York, Amsterdam, Londres et Paris. Quel public vous semble le plus ouvert sur un plan gastronomique ? Tous les publics sont différents. Mais je dirais qu'en France, on est plus sensible à la découverte des saveurs car la cuisine est vraiment ancrée dans la culture. Les Français sont très engagés sur le sujet. Chaque pays a ses caractéristiques et j'aime traverser le monde pour cuisiner avec mes amis et créer des plats inédits. Durant cette tournée, j'ai rencontré des gens qui étaient déjà venus manger chez André mais qui m'ont dit avoir découvert encore de nouvelles choses et c'était le but.
Le premier Guide Michelin de Singapour sortira le 21 juillet prochain. Qu'attendez-vous de cette parution ? Je pense que c'est une très bonne chose pour Singapour car c'est l'une des capitales gastronomiques du monde. Cependant, il y a énormément de restaurants de niveaux très différents et c'est parfois difficile de les distinguer sans les connaître. Souvent, de très bons établissements sont collés à des adresses beaucoup moins bonnes alors le Guide Michelin distinguera les restaurants de meilleure qualité.
En revanche, concernant mon restaurant, je ne sais pas trop à quoi m'attendre. C'est très difficile car pour moi, certains restaurants 1 étoile en valent 3 et inversement et je ne sais pas ce que le guide attendait de sa venue à Singapour.
Pourquoi avez-vous choisi de venir apprendre la cuisine en France à l'âge de 18 ans ? J'ai marché très tôt dans les pas de ma mère qui a un restaurant chinois au Japon. J'ai quitté Taïwan quand j'avais 13 ans pour apprendre la cuisine avec elle et ensuite je me suis demandé quelle autre cuisine j'avais envie d'apprendre. Je connaissais déjà les cuisines japonaise et chinoise... J'ai donc pensé à la France, un pays intouchable que je ne connaissais pas du tout. J'ai parlé avec ma mère et j'ai décidé d'apprendre la cuisine française à 15 ans pour avoir de nouvelles idées. Dès que je suis arrivé en France j'ai découvert un autre monde. On me demandait de créer des plats en fonction des saisons, chose qui n'existe pas chez moi car il n'y a que l'été. Il faut s'adapter, avoir des sentiments et j'adore ce côté émotionnel.
Mardi 21, au matin, vous avez donné une démonstration/conférence à l'école Ferrandi. Quel conseil pourriez-vous donner à la jeune génération de chefs ? Pour moi le côté très important ce n'est pas vraiment la technique. Moi même je marche à l'instinct et à l'émotion. Ce qui m'inquiète c'est que la nouvelle génération a trop d'informations sur les techniques et le travail des autres via internet. De ce fait, les jeunes chefs perdent leur identité et leur style. Aujourd'hui, tous les plats se ressemblent ! J'aimerais que les jeunes se concentrent davantage sur l'essentiel et sur ce qu'ils ont envie de faire sans se laisser influencer. Qu'ils apprennent à ne pas en mettre trop dans l'assiette et sachent s'arrêter à temps pour ne pas noyer un plat.
Dans l'Avant-propos de votre livre, Jacques et Laurent Pourcel disent de vous que vous avez "la capacité d'anticiper les nouvelles tendances culinaires". Sur quelle tendance travaillez-vous en ce moment ? Cela fait maintenant 4 ans que je travaille sur les jus fermentés pour remplacer le vin et autres boissons alcoolisées à table. On ne pense jamais aux gens qui ne boivent pas d'alcool ! Même dans le meilleur restaurant du monde, vous n'aurez que de l'eau ou du jus d'orange si vous n'aimez pas le vin. Mon rêve serait de proposer des accords de jus fermentés qui pourraient le remplacer et donner une option pour les gens qui boivent pas.
Vous vous auto-définissez comme un artiste. Parlez-vous uniquement de la cuisine ou avez-vous d'autres talents cachés ? Je fais aussi de la sculpture et de la poterie. D'ailleurs, j'ai créé 95 % de la vaisselle du restaurant André. Je suis né dans une famille d'artistes avec une mère chef, un père caligraphe chinois, un frère acteur et une sœur styliste. On m'a toujours appris à apprécier le beau et je suis un passionné d'art.
Octaphilosophie: Les huit éléments du Restaurant André André Chiang (Phaidon, 49,95€)
Crédits photo : Edmond Ho.