J'ai toujours été passionné par les analyses sensorielles et les dégustations : qu'il s'agisse de vin, de fromage, de glace ou de café. Mais quand il s'agit de spiritueux, c'est une autre histoire : la personnalité de chaque produit est étroitement liée à la tradition et à son lieu de production. Il est donc très difficile de développer une expertise du liquide en question sans comprendre son environnement.
Voilà pourquoi je n'ai pas hésité une seconde à accepter l'invitation qui m'a été donnée de partir en Ecosse. Cette terre attrayante où le vent sent bon la bruyère, le malt et la tourbe, est célèbre à travers le monde pour sa production de whisky. D'ailleurs, c'est dans ce pays situé à la pointe de la Grande-Bretagne, entre la Mer du Nord et l'Océan Atlantique, qu'est conçu le tiers de la fabrication de whisky, avec pas moins de 118 distilleries, dont 96 actives.
Mon voyage commence à Islay, l'île la plus méridionale de l'archipel des Hébrides et région la plus dense pour la production de whisky. Ici, les tourbières s'étendent sur des kilomètres et procurent la matière brute qui servira à la production de single malt des neuf distilleries locales, dont l'existence remonte à plusieurs siècles. En 1742, l'île comptait déjà dix distilleries illégales. C'est seulement en 1816 que John Johnson fonda la première distillerie légale de l'île, qui finira par devenir Lagavulin, le plus célèbre des whiskies d'Islay.
Aujourd'hui, la « famille » Lagavulin comprend un whisky de 16 ans, sec, velouté et doté d'un arrière-goût persistant, aujourd'hui appelé « Distillers Edition ». Doux et « juteux », il présente des arômes de vanille et de café, un léger goût d'herbe et de tourbe. L'un des autres Lagavulin les plus connus n'est autre que le « Special Releases », nom donné à quelques éditions limitées méticuleusement choisies au fil des ans, comme le Natural Cask Strenght 2010.
J'ai goûté ces produits dans l'un des entrepôts de la distillerie, parmi les montagnes de fûts, avec vue imprenable sur la mer agitée. Je partage cette expérience avec le jeune et ambitieux directeur de la distillerie Lagavulin, Georgie Crawford, et mon ami Dave Broom, considéré comme l'un des plus grands experts de scotch du monde et qui partage ma passion pour l'analyse sensorielle des spiritueux.
Et c'est ici – alors que j'admirais les ruines du château Dunyvaig, construit pour protéger la baie de Lagavulin – que m'a été contée l'histoire de cette terre à l'origine de la diffusion du whisky à travers le royaume. Dunyvaig était le bastion de la famille McDonald, qui a gouverné l'archipel à partir de 1493, date à laquelle le roi Jacques IV d'Ecosse défia le clan et détruisit le château. La première mention écrite faisant référence au whisky date de l'année suivante, en 1494, quand le roi Jacques commanda plusieurs tonneaux au frère John Cor. L'apparence de cette écriteau laisse penser qu'avant cette époque, le whisky n'était pas connu en dehors de l'Ecosse et que le roi avait entendu parler de son existence durant la bataille pour le château, qui abritait également un monastère où les moines fabriquaient des spiritueux.
Prochain arrêt : le château de Drummuir, dans la région de Speyside, un magnifique exemple de l'architecture écossaise de style victorien. Après avoir dîné dans l'impressionnante salle à manger une salade de saumon fumé, de la poitrtine de canard fumée avec des petits pois, des asperges et un écrasé de céleri, ainsi qu'un fondant au chocolat servi avec une glace vanille, nous nous sommes dirigés vers la réserve abritant une incroyable collection de spiritueux.
J'ai soigneusement choisi ce que j'allais déguster et créé une série mémorable de single malt scotch : Glenury Royal 23 ans d'âge, Caol Ila 25 ans d'âge, Oban 32 ans d'âge (qui m'a d'ailleurs surpris avec ses premières notes fumées et végétales, qui ont finalement laissé place à des arômes frais et nets comme une brise cinglante), Port Ellen 24 ans d'âge, pour me diriger ensuite vers le Benrinnes 23 ans d'âge, Talisker 25 ans d'âge (un équilibre incroyable entre la douceur et la vitalité), Convalmore 28 ans d'âge et Brora 30 ans d'âge Special Releases (qui, après la douceur initiale, dévoile une explosion en bouche avec des notes de tourbe).
Après avoir admiré les phoques le long de la côte et fait un crochet au Kinloch Lodge tenu de Claire et Godfrey MacDonald pour goûter la nourriture étoilée de leur chef brésilien Marcello Tuly, et un autre arrêt à The Three Chimneys, l'un des plus célèbres restaurants d'Ecosse, direction Talisker. Fondé par Hugh et Kenneth MacAskill, Talisker est la seule distillerie de l'île de Skye. D'après le révérend abstinent Roderick Macleod, sa construction aurait même été la « plus grande malédiction qui puisse arriver à cette île ».
Bien sûr, l'histoire aura prouvé le contraire et l'elixir des MacAskill a même été cité par Robert Louis Stevenson dans son poème de 1880, The Scotsman's Return from Abroad. A Talisker, où j'ai été accueilli par le son des cornemuses, j'ai eu la chance de goûter l'un des Special Releases de la distillerie, comme le Talisker 34, produit en seulement 200 exemplaires à travers le monde. Toujours à Talisker, nous avons été rejoint par Charles Mac Lean, qui, avec Dave Broom, est l'un des experts de whisky les plus respectés.
Je suis donc là, sur la pelouse verte qui borde la côte de cette île brumeuse, un verre de « uisge beatha » (nom géalique du whisky) à la main avec Charles et Dave, à trinquer à la vie et à l'amitié. C'est peut-être le souvenir le plus marquant de ce voyage dans l'ancienne Calédonie.