Christophe Rousseau n'est pas un chef qui a la langue dans sa poche. Et pour cause : à même pas 30 ans, le jeune homme a déjà officié dans de nombreuses maisons de prestige mais ne cache pas que ces expériences n'ont pas toujours été des plus épanouissantes. Entre salaire de misère, horaires à rallonge et parfois insultes, le jeune chef confesse volontiers que la cuisine "est un métier où l'on n'hésite pas à te traiter comme une m****".
Aujourd'hui, le jeune homme a trouvé son équilibre au Café la Perle, adresse mythique dans le Marais à Paris, où il tient les cuisines depuis plus de six ans.
Christophe Rousseau revient pour nous sur son parcours semé d'embûches mais résolument formateur.
Pouvez-vous nous en dire plus sur vos premières expériences dans la restauration ?
J'ai commencé à l'âge de 15 ans en apprentissage à La Table d'Alexandre à Puteaux. C'était une petite maison où le travail était dur mais m'a permis d'apprendre le "vrai métier" de cuisinier. J'ai ensuite travaillé quelques temps au Café de la Paix à Paris avant de rejoindre les équipes du Ritz. Pour un petit gars de banlieue (Nanterre) c'était grandiose d'intégrer une brigade aussi prestigieuse. Mais en coulisse, c'était très différent...
Pourquoi cela ?
Quand je suis arrivé on m'a dit "on t'embauche mais on n'a pas de place pour toi". Autant vous dire que je n'ai pas vraiment compris pourquoi j'étais là (rires) ! On m'a finalement mis au room service... pour les chiens !! Eh oui... Les chiens de stars qui mangent pour 45e par repas ce n'est pas un mythe. Au début j'ai cru que c'était un bizutage. Ca m'a rendu dingue de me dire que j'avais fait tout ce chemin pour en arriver là. C'est comme si tu te vantais de jouer au PSG alors que t'es dans l'équipe C et qu'on ne te voit jamais à la télé. Un jour, j'ai envoyé un plat trop chaud et un chien s'est brûlé la langue avec, je me suis fait défoncer ! Mais ce qu'il faut savoir c'est qu'à l'époque, les cuisines étaient équipées de hauts-parleurs, alors tout le monde a entendu ma soufflante. Une autre fois, j'avais mis volontairement un peu trop de tabasco dans un plat tellement j'en avais ras-le-bol. Résultat : 5 minutes plus tard, le chien avait repeint la chambre (rires). Après m'être fait engueuler comme rarement je l'avais été, on m'a transféré à la brasserie de l'hôtel. C'était un mal pour un bien au final ! Je suis resté un an et demi à ce poste qui était très dur, où on ne te laissait pas faire de pause pour manger ou boire de l'eau... Même pour aller aux toilettes il fallait demander l'autorisation. Mais selon moi tout cela n'était pas la faute des chefs mais des personnes au-dessus, qui ne voyaient que le chiffre et la rentabilité des lieux sans se préoccuper du côté humain.
Après toutes ces galères j'ai finalement intégré la brigade du restaurant gastronomique et je suis passé de commis à demi-chef de partie puis chef de partie. Je suis parti un mois avant la fermeture du Ritz pour travaux. Et même en évoluant dans la brigade, mon salaire n'a pas augmenté. Quand je demandais pourquoi, on me répondait que c'était "un honneur" de travailler ici et que le salaire ne devait pas être ma motivation première. Je suis désolé mais moi, je ne travaille pas 90 heures par semaine pour la gloire !
C'est rare d'avoir un discours à la fois si dur mais réaliste sur le métier de cuisinier...
Oui. Si j'en parle c'est parce que je vois beaucoup de jeunes fascinés par les émissions comme Top Chef et le côté paillettes de la télé, mais qui ne se rendent pas compte de la dureté de ce métier. Que les choses soient claires : être chef est un métier passionnant mais si tu vises la haute gastronomie et les étoiles Michelin, tu mets forcément ta vie personnelle de côté.
Vous avez également travaillé chez Alain Passard à L'Arpège.
Oui mais je n'y suis resté que quelques mois. J'ai adoré le personnage mais à l'époque, je n'ai pas accroché avec sa cuisine. Je ne comprenais pas cette simplicité mêlée à la complexité, je trouvais qu'il n'y avait pas vraiment de technique et qu'il restait trop sur des choses simples. Pour moi, qui venais d'un restaurant gastronomique où tout était millimétré, ça n'était pas possible. Je me disais que je me tapais des horaires de dingue pour simplement cuire des patates à l'eau et faire des merguez de betterave... Ca me prenait la tête, ça n'était pas mon délire ! Avec le recul, j'ai compris qu'Alain Passard avait raison mais ça me paraissait trop simple à l'époque.
Vous êtes donc parti pour rejoindre les équipes du George V.
En effet. J'ai travaillé aux côtés d'Eric Briffard. C'était une super expérience c'est un chef génial. J'avais également dans mon équipe David Bizet, qui est aujourd'hui chef de L'Orangerie. Ca fait plaisir de voir des gens comme lui sortir de l'ombre après tant d'années de travail ! Tout se passait très bien mais au bout de 9 mois, Jean-Philippe Nikohgossian, avec qui j'avais déjà fait quelques extras, m'a demandé si je voulais prendre la place de chef au Café la Perle. A l'époque, mon fils venait de naître et j'en avais marre de commencer à 6h pour finir à 19h et de ne pas profiter de ma famille. J'ai donc dit oui à Jean-Philippe à une condition : d'avoir mes soirées et mes week-ends. En contrepartie, je me suis engagé à m'investir dans ce resto comme si c'était le mien. L'affaire roule depuis six ans maintenant et j'ai aussi formé l'équipe en cuisine du Café Foufou, deuxième adresse de Jean-Philippe ouverte récemment à Oberkampf.
Que proposez-vous comme cuisine au Café la Perle ?
J'estime que l'on propose des plats avec un bon rapport qualité/prix, des recettes classiques mais qui ont toujours une touche moderne et sympa. De toute façon ici je ne peux pas faire une cuisine gastronomique. Tout d'abord parce que le cadre et le quartier ne s'y prêtent pas, mais aussi parce que la cuisine fait seulement 6m², alors faut pas se prendre la tête.
On prépare aussi des brunchs sympas avec des gros pancakes, des pains perdus généreux mais aussi des tartines à l'avocat. Franchement quand Jean-Philippe m'a dit de faire des avocado toast au début j'étais très sceptique. Je me suis dit : "C'est quoi cette merde ?". Mais je l'ai fait à ma façon, avec du beau pain de campagne, deux avocats par assiettes, des noisettes torréfiés, un oeuf poché et ça cartonne ! C'est un plat que tout le monde peut faire à la maison mais les gens ont la flemme alors ils en mangent dans les cafés et restaurants. Jean-Philippe avait raison de miser là-dessus.
Maintenant que vous êtes chef, comment ça se passe avec votre brigade ?
Je fais en sorte que les gens qui travaillent avec moi aient un équilibre dans leur vie. J'estime qu'on fait ce métier par passion et non par contrainte alors il faut penser au bien-être du personnel. Du coup, ils ont les mêmes horaires que moi et il y a une deuxième équipe le soir et le week-end. Grâce à cela, les cuisiniers s'investissent plus, sont moins malades... Clairement je n'ai pas de problème ! Après bien sûr, ça arrive d'être absent une journée ou deux et si cela est justifié, je m'adapte. Mais si c'est du flan, je te fume (rires) ! Heureusement jusque-là ça n'est jamais arrivé.
Avez-vous un rêve ultime dans votre carrière ?
Je pense qu'un jour j'aimerais ouvrir mon propre restaurant vers Nanterre. J'aime bien ce côté banlieue où il y a moins de stress, les gens prennent plus le temps même si ça va très vite. Et puis il y a moins d'offres en restauration qu'à Paris donc moins de concurrence. Mais le problème est toujours le même : si j'ouvre ma propre adresse, je reprendrais le boulot le soir, le week-end... Mon père était dans la restauration et je ne le voyais pas beaucoup sauf quand je passais au restaurant. Il faisait ce qu'il pouvait mais c'était compliqué et je n'ai pas envie de faire subir cela à mes enfants. Disons que j'ai vraiment le sentiment d'avoir trouvé "la perle" sans mauvais jeu de mots. Je m'amuse dans ce que je fais et j'ai une vie et pour le moment, ça me va !
Où ? Café la Perle, 78 rue Vieille du Temple, 3e arrondissement de Paris.