CAP Cuisine décroché à 16 ans, parcours de rêve à l'école Ferrandi, formation à l'Institut Paul Bocuse... Moko Hirayama et Omar Koreitem, chefs du restaurant Mokonuts à Paris, sont bien loin de tout ça. La première, d'origine japonaise, s'est lancée dans la pâtisserie à l'âge de 35 ans. Le second, d'origine libanaise, a débuté la cuisine à 31 ans. Un démarrage "sur le tard" dans le métier pour ces deux passionnés qui ont quitté respectivement leurs jobs d'avocate et de fonctionnaire à la mairie de New York pour vivre leur rêve gastronomique.
Si certains ont dû penser qu'ils étaient fous de lâcher de si bons postes pour se jeter dans le vide, on peut dire que le duo a très bien joué ses cartes puisque Mokonuts est l'un des restaurants/coffee shop les plus en vue de Paris. Le couple a même reçu le Trophée Gault&Millau Pop en 2016 ainsi que le Fooding d'Amour en 2017. "On a jamais pensé que ça irait aussi loin", s'étonne encore Omar Koreitem.
Le parcours atypique de ces deux amoureux de la cuisine a éveillé la curiosité de Fine Dining Lovers, qui est parti à la rencontre de ce couple à la ville comme aux fourneaux.
Pouvez-vous revenir un peu sur vos parcours respectifs ? Omar Koreitem : Moko et moi nous sommes rencontrés aux Etats-Unis. A l'époque je travaillais à la marie de New York en tant que fonctionnaire mais j'ai toujours eu cette passion pour la gastronomie. A 31 ans j'ai enfin eu l'envie de me lancer en suivant un programme de cuisine de 6 mois à côté de mon travail. Je voulais faire un stage dans une grande maison et j'ai eu la chance d'intégrer la brigade de Daniel Boulud avant d'être embauché comme commis. De là les choses se sont enchaînés.
Moko Hirayama : Les choses ont été un peu plus compliquées pour moi. J'avais un bon job d'avocate mais nos Visa pour travailler aux Etats-Unis arrivaient à expiration. On m'a alors proposé de travailler un an à Londres et nous sommes partis avec Omar. Il travaillait déjà dans de grandes maisons et moi je commençais un peu à m'ennuyer. Un jour j'ai eu un déclic, je me suis dit qu'il était temps de me lancer. J'ai appelé Ladurée qui venait de s'installer chez Harrods. Je leur ai demandé si je pouvais venir de temps en temps juste pour regarder comment ça marchait et voir si le métier pouvait me plaire. Ils ont été très ouverts et ont accepté. J'y allais le matin avant d'aller travailler et aussi les WE. Petit à petit j'ai mis la main à la pâte, je faisais des viennoiseries, on m'a confié quelques responsabilités jusqu'à m'offrir un poste permanent que j'ai refusé. Mais tout cela m'a donné confiance ! J'ai finalement convaincu Omar et on est partis s'installer à Paris.
Je pensais que les choses seraient plus faciles côté papier comme Omar était de Paris mais ce fut tout le contraire. Je voulais trouver un stage en pâtisserie mais je ne voulais pas retourner à l'école vu mon âge. Et en France, si tu n'as pas d'école, pas de diplôme, on ne te donne pas ta chance. J'ai frappé à toutes les portes, aussi bien en boutique qu'en restauration, et le seul qui m'a accepté c'est Fabrice Le Bourdat qui tenait à l'époque Blé Sucré. Je venais tous les jours à 4h du matin pour faire les finitions des viennoiseries.
J'ai ensuite travaillé en restauration au Senderens avec Jérôme Banctel. J'y suis restée deux ans et demi et c'est lui qui a fait tous mes papiers pour que je puisse rester en France.
Mais la pâtisserie gastronomique ne me plaisait pas tant que ça car l'apparence comptait beaucoup trop et je ne suis pas à l'aise avec les détails. J'ai finalement rencontré Adeline Grattard et j'y suis allée un peu au culot. On a discuté et elle m'a proposé un poste en pâtisserie à condition que je fasse aussi un peu de cuisine. C'était parfait pour moi ! Ca m'a permis de voir plus de produits, ses desserts sont plus instinctifs, avec beaucoup de saveurs... Elle appréciait ce que j'avais à offrir et mon âge n'a jamais été un problème.
Finalement je suis tombée enceinte et j'ai quitté le Yam'Tcha. Omar s'est également retrouvé sans emploi et on s'est dit qu'il était temps de monter notre propre affaire.
Qu'est-ce qui, selon vous, a fait le succès fulgurant de Mokonuts ? M.H. : Quand on a trouvé les locaux on voulait faire des salades, des soupes, des sandwichs et quelques pâtisseries. Mais après trois jours Omar m'a dit : "J'en peux plus, il faut que je cuisine !" On est arrivé petit à petit au résultat d'aujourd'hui qui nous convient parfaitement et c'est visiblement une formule qui marche.
O.K. : Je pense qu'on a démarré très fort grâce à l'article du Fooding. Ils ont écrit un très bon article ! La journaliste qui est venue a été surprise car elle s'attendait à venir dans un coffee shop manger un avocado toast (rires). Après ça on a rempli plus facilement le restaurant.
Cependant, Mokonuts reste un restaurant de quartier. La plupart de nos clients sont des habitués et nous n'avons que 24 places alors ça se remplit très vite.
Notre atout c'est de changer le menu tous les jours. Comme ça, les clients qui viennent régulièrement ne mangent jamais la même chose et nous, on ne s'ennuie pas. On adore découvrir de nouveaux produits, goûter de nouvelles saveurs... Ce qui stimule notre curiosité stimule aussi celle des clients !
Crédit : Mathilde Bourge
Vos origines ont-elles une influence sur votre cuisine ? O.K. : Oui mais disons que ça n'est pas quelque chose qu'on essaie de mettre en avant à tout prix. Ici, on aime cuisiner comme à la maison, avec les goûts et les ingrédients qu'on aime, et il se trouve que nos goûts sont marqués par nos origines. Je cuisine par exemple souvent la volaille avec le tahini et Moko utilise du miso dans ses cookies.
La carte change tous les jours mais quels sont les plats signatures de Mokonuts ? O.K. : Sur la partie dont je m'occupe je dirais le labneh. Je ne sais pas pourquoi mais tout le monde en parle (rires) ! Alors je le laisse le plus souvent possible à la carte. M.H. : Pour la partie sucrée se sont bien sûr les cookies. Je change les saveurs tous les jours et j'en propose entre 5 et 10 différents à chaque service.
Comment choisissez-vous les produits que vous travaillez ? O.K. : Nous faisons une sélection rigoureuse et minutieuse. Pour nous, une carotte n'est pas juste une carotte. Même si je choisis un produit simple comme le persil, je le fais avec beaucoup de soin. On connaît les producteurs avec lesquels on travaille et on leur fait entièrement confiance. Chaque année on commande par exemple des potimarrons à un monsieur qui s'appelle Jacques et qui obtient toujours quelque chose de régulier, bien sucré et qui se tient à la cuisson. On travaille en direct avec plusieurs maraîchers et pour le poisson on est en lien avec Poiscaille.
Je fais aussi confiance à mes amis chefs comme Daniel du restaurant Les Déserteurs ou Giovanni du restaurant Passerini, qui me donnent parfois de bons tuyaux.
Si vous pouviez faire un dîner à 4 mains avec un autre chef, qui choisiriez-vous ? O.K. : J'admire énormément Alice Waters de Chez Panisse en Californie. C'est elle qui a commencé la "new american cuisine" dans les années 80. C'est une figure emblématique aux Etats-Unis.
M.H. : J'ai peu de héros dans ma vie professionnelle mais je trouverais ça intéressant de travailler de nouveau avec Fabrice Le Bourdat. Il a vendu Blé Sucré mais ça me ferait vraiment plaisir. C'est la seule personne que j'appelle encore chef !
Où ? Mokonuts, 5 rue Saint-Bernard, 75011 Paris.