Innover, oui. Mais pas au détriment de la grande cuisine. La nécessité de produire toujours plus et toujours mieux ne facilite pas l’imaginaire collectif à associer la nourriture de demain à la gastronomie. Pourtant, si certaines parmi les nouvelles technologies semblent déjà séduire, encore peu de grands chefs font le pari de les intégrer à leur cuisine, même en préservant les savoir-faire du passé.
Une étude réalisée par l’Institut de sondage Ipsos à la demande du pôle de compétitivité Vitagora de Dijon sur les attentes des consommateurs d’ici 2020 et publiée en janvier 2014, montre que parmi les ingrédients de demain, nous pourrions bien voir arriver dans nos assiettes des micro-algues et des matières protéiques végétales (MPV). Les premières qui constituent une excellente source de protéines, seraient déjà appréciées par de grands chefs cuisiniers comme Marc Foucher (meilleur ouvrier de France en 2004), ou d’autres, en vue de les intégrer dans les sushis particulièrement appréciés des Français. Les secondes, issues de céréales et de légumineuses également très riches en protéines, feraient ressortir des propriétés organoleptiques élevées. Elles interpellent Christophe Moret, le chef de L’Abeille, le restaurant gastronomique du Shangri-La à Paris qui declare dans un article publié en mars 2015 : "À ce rythme, la planète ne pourra pas nourrir tout le monde. Il y a une prise de conscience générale qui s’opère et les gens souhaitent manger différemment. À nous, chefs de cuisine, de faire des propositions attrayantes." Selon lui, pour l’instant, “la protéine végétale la plus simple d’accès est le tofu.” Quant aux nanotechnologies de plus en plus utilisées dans l’industrie agroalimentaire, leur capacité à renforcer les arômes des aliments n’a pas encore séduit.
Mais toute expérience gastronomique devant également passer par le plaisir des yeux, un des enjeux de demain sera de proposer de nouvelles formes de présentation à ces nouvelles protéines. Les imprimantes 3D pourraient donc bien constituer un élément de réponse. Des laboratoires travaillent actuellement à augmenter leur rapidité et à diminuer leur coût. En janvier 2015, la Belgique a lancé un laboratoire unique destiné à l’expérimentation gastronomique et technologique. Il s’agit du Smart Gastronomy Lab dont l’objectif vise à l’élaboration de nouvelles recettes, la création de nouveaux produits, la fabrication de nouveaux objets, ustensiles et équipements culinaires. Chefs étoilés, scientifiques et acteurs de l’économie créative y collaborent. Composée de cinq différents laboratoires interconnectés, la structure dispose notamment d’un laboratoire culinaire (Cooking Lab) et d’un restaurant expérimental. Sans forcément s’impliquer au sein de ce type de structure, certains grands chefs français sont plutôt favorables au progrès. Un autre article publié en mars 2015 sur le thème de la technologie et de la gastronomie cite Yannick Alléno pour sa quête de l’innovation, qu’il intègre dans sa cuisine de façon mesurée. Conciliant tradition et modernité, il y déclare d’ailleurs vouloir «réinventer les plats de la cuisine traditionnelle». D’autres en revanche y sont farouchement opposés. Alain Ducasse poursuit son concept de naturalité, Alain Passard cultive des semences anciennes dans ses potagers et l’ambassadeur de l’art culinaire français à l’étranger, Raymond Blanc, ne jure que par le terroir.
Alors que l’art du goût a toujours été alimenté par l’innovation technologique, un vent de nouveau soufflera-t-il avec les nouvelles technologies dans les cuisines de demain ?