Alors que l'Europe, les États-Unis et une grande partie de l'Afrique et de l'Asie sont en proie aux vagues de chaleur et à la sécheresse, nous assistons à un aperçu de la façon dont ces changements climatiques peuvent avoir un impact sur nos vies. Et notamment sur la nourriture que nous mangeons.
L'insécurité alimentaire et la menace qui pèse sur notre système alimentaire ne sont qu'une partie du défi que nous devrons relever dans les décennies à venir. Cependant, l'éducation sur le changement climatique est souvent trop abstraite et difficile à être assimilée par la population en général. Souvent, il faut des pénuries d’aliments pour que le message frappe.
Un exemple vient du Mexique. Récemment, les approvisionnements en sauce piquante sriracha ont été affectés par la mauvaise récolte de piment dans le nord du pays et cela a fait la une des journaux mondiaux. Un autre exemple vient des Etats Unis, où les cultures d'amandiers et d'avocats en Californie sont menacées, et le bœuf américain - en particulier le bœuf nourri à l'herbe - pourrait devenir inabordable pour une grande partie de la population dans le futur proche.
L'Europe connaît actuellement des températures record et des incendies de forêt font rage en France, en Espagne et au Portugal. Le nord de l'Italie est en proie à une sécheresse qui menace gravement la production agricole. Les récoltes italiennes de blé et de maïs seraient en baisse, tandis que les cultures de riz Arborio et Carnaroli ont été dévastées par l'assèchement du grand fleuve Pô. Très probablement, le coulis de tomates italien de qualité sera considérablement plus cher à l'avenir, car les cultures de tomates ont dû être récoltées tôt en raison des températures élevées, ce qui signifie que les rendements sont en baisse. Pendant ce temps, la Commission Européenne a abaissé ses projections de récolte de blé tendre de 130 millions de tonnes à 125 millions de tonnes, ce qui s’ajoute à la crise des exportations de céréales ukrainiennes provoquée par le conflit avec la Russie.
Aux États-Unis, plus de 71 millions d'acres de cultures sont en grave sécheresse - environ 22 % des cultures du pays, selon l'American Farm Bureau. Les prix des denrées alimentaires grimpent dans tout le pays, en hausse de 9,4 % par rapport à il y a un an, et avec les pressions supplémentaires causées par la guerre en Ukraine, la pénurie de main-d'œuvre et la hausse des coûts des semences et des engrais, la situation va s'aggraver. La flambée des prix des denrées alimentaires due à la sécheresse et aux températures élevées à travers le monde a été appelée « healflation ».
Le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a souligné le danger auquel notre système alimentaire est confronté dans un message publié il y a quelques semaines. « Selon le World Food Programme (WFP), au cours des deux dernières années, le nombre de personnes souffrant d'insécurité alimentaire grave dans le monde a plus que doublé pour atteindre 276 millions », a-t-il déclaré. Il existe un risque réel que de multiples famines soient déclarées en 2022.
« Et 2023 pourrait être encore pire », a-t-il poursuivi. « Les principaux coûts pour les agriculteurs sont les engrais et l'énergie. Les prix des engrais ont augmenté de plus de moitié au cours de la dernière année et les prix de l'énergie de plus des deux tiers. Toutes les récoltes seront touchées, y compris le riz et le maïs, affectant des milliards de personnes en Asie, en Afrique et dans les Amériques. Les problèmes d'accès à la nourriture de cette année pourraient devenir la pénurie alimentaire mondiale des années prochaines. Aucun pays ne sera à l'abri des répercussions sociales et économiques d'une telle catastrophe ».
Les données sont claires. Aux États-Unis, les zones agricoles sont davantage touchées par la sécheresse et la hausse des températures. Le projet Google Data Commons nous permet de suivre les prélèvements d'eau cartographiés pour l'irrigation par rapport aux hausses de température prévues à travers le pays. Nous pouvons voir en temps réel que le changement climatique affecte l'effondrement du système agricole, qui est comme un « château de cartes ». La dégradation des sols est une préoccupation majeure, les rendements seront plus faibles et les aliments seront moins nutritifs à cause de cela.
C'est une sombre perspective en effet, et l'ampleur du problème ne fait que souligner notre impuissance… du moins c'est ce que nous pourrions penser. En réalité, il existe des comportements qui peuvent atténuer certains des dommages causés aux cultures et aux produits agricoles. La clé est de connaître à l'avance les températures extrêmes et les sécheresses, afin que les agriculteurs puissent prendre les bonnes décisions avant la saison de croissance des aliments.
John Furlow est le directeur de l'International Research Institute for Climate and Society de l'Université de Columbia
John Furlow est le directeur de International Research Institute for Climate and Society de l'Université de Columbia. Créée il y a environ 25 ans, l'organisation se concentre sur les informations climatiques et sur la manière dont la société intègre ces données. Si utilisées correctement, elles peuvent être très précieuses pour les agriculteurs et pour les gouvernements.
« En 2013, nous avons travaillé à la création d'une infrastructure de prévision, à laquelle les agriculteurs peuvent s'inscrire pour recevoir quotidiennement des SMS les informant des prévisions météorologiques et des prévisions saisonnières », explique Furlow.
« En 2014, El Niño a commencé. En Jamaïque, dans les Caraïbes, le signal typique d'El Niño est qu'il y a une sécheresse. Il y a eu une sécheresse record, la pire en 30 ou 40 ans. Les agriculteurs faisant partie de ce programme recevaient les sms. La productivité a chuté de je pense de 50 % entre 2013 et 2014, et la production économique dans l'agriculture a chuté de 30 %, et ce n'était pas aussi mauvais que la production totale. Parce que les gens ont commencé à se tourner vers des cultures de plus grande valeur, les prix ont augmenté à mesure que l'offre diminuait, ce qui a atténué une partie des dégâts. »
« Ils ont changé ce qu'ils ont planté, quand le faire et de quelle façon, et certains ont retiré des terres de la production. Une femme nous a dit que dès qu'elle a entendu parler de la sécheresse, elle est allée dans une rivière à proximité et a rempli des tonneaux. Finalement, la rivière s'est asséchée mais elle avait de l'eau en réserve. Certaines personnes ont pris une année sabbatique et ont travaillé dans le tourisme sur la côte. Ils ont évité de faire des investissements ».
Les choix des consommateurs peuvent également être significatifs et entraîner des changements. Ce n'est qu'au cours des 30 dernières années que les gens se sont habitués à un choix aussi vaste de produits. Cela doit changer et changer rapidement.
« Ma mère se plaignait de la disponibilité de tout, tout le temps", explique Furlow. « Elle a grandi en Géorgie, dans le sud, et elle adorait le changement des saisons. Les pêches arrivaient au début de l'été, le maïs arrivait plus tard, et elle chronométrait l'année en fonction de ce qui était disponible. Au fur et à mesure qu'elle vieillissait, tout devenait disponible tout le temps ».
« Le choix du consommateur est à l'origine du problème. En particulier aux États-Unis et en Europe, mais en Chine aussi, le choix d’utiliser des produits qui viennent de loin a beaucoup contribué aux émissions. Mais si nous réfléchissons à l'existence d'un soutien pour les restaurants locavores, si nous pensons à la nourriture locale et à ce qui est disponible à quelques heures de route, cela non seulement soutient les communautés d'agriculteurs locales, mais réduit également les émissions associées au transport. Je pense que ça peut être assez intéressant de manger ce qui est disponible, tout comme ma grand-mère le faisait ».
C'est là que les chefs peuvent jouer un rôle crucial. Ils ont la créativité, les connaissances et les compétences nécessaires pour montrer qu'une disponibilité réduite de produits ne signifie pas nécessairement une alimentation moins variée et moins agréable. Le gaspillage alimentaire peut également être réduit et les légumes verts, les racines et les baies peuvent être mieux utilisés en cuisine. Beaucoup de chefs travaillent déjà depuis des années dans cette direction.
« Il y a vingt ans, lorsque les gens ont commencé à beaucoup parler du changement climatique, les États-Unis ont fait une évaluation nationale du climat, en se concentrant sur les impacts à la fin du siècle, car on pensait que nous avions encore beaucoup de temps », explique Furlow.
Cet été, alors que les températures montent, rester au frais sera peut-être le moindre des soucis.