Des tables rondes, un décor digne d'un château et une multitude de légumes frais disposés en plein milieu de la salle... C'est au restaurant le Meurice d'Alain Ducasse que nous faisons la connaissance de Jocelyn Herland. Le chef, arrivé aux commandes des cuisines en début d'année, se sent ici comme chez lui. "Si j'avais plus de temps dans la journée, j'en passerais encore plus ici, avec mon équipe", affirme d'ailleurs le cuisinier originaire d'Auvergne.
Ce sentiment n'a rien d'étonnant, quand on sait que Jocelyn Herland travaille main dans la main avec Alain Ducasse depuis plus de dix ans. Après avoir officié au Plaza Athénée en tant que sous-chef, le cuisinier a participé à l'ouverture du Alain Ducasse at The Dorchester à Londres, en 2007. Au bout de trois ans, Jocelyn Herland décroche trois étoiles au Guide Michelin, avant d'être appelé fin 2015 pour remplacer Christophe Saintagne au Meurice.
Rencontre.
Pourquoi avoir eu envie de rejoindre Le Meurice ?
Il y a une suite logique dans mon parcours. Je travaille avec Alain Ducasse depuis 18 ans -avec quelques coupures- et cela faisait 8 ans que je travaillais à Londres. Je suis revenu parce que j'apprécie le personnage, son approche de la restauration, le respect des fournisseurs qu'on arrive à obtenir grâce à lui.
Cela fait 11 mois que je suis là, c'est très intense mais très différent de mes débuts à Londres.
Justement, quelles sont les différences majeures ?
A l'époque, on m'a contacté trois semaines avant l'ouverture du restaurant et j'ai eu 15 minutes pour donner ma réponse. Ici, Alain Ducasse m'a laissé 15 jours, c'est une sacrée évolution (rires) !
Ensuite, la gestion est totalement différente. Même si Le Meurice est un grand établissement avec deux restaurants, une partie banquet, le room service et la petite galerie, j'ai le temps de me consacrer vraiment au restaurant gastronomique. A Londres, le gastronomique comptait 95 couverts, c'est énorme pour un restaurant 3 étoiles ! Ici, on a moins de places, moins de plats sur la carte... Tout cela est adapté au marché parisien, qui est très différent de celui de Londres, où la gastronomie est encore jeune.
Enfin, quand Christophe Saintagne a quitté sa place, il a emmené 6 personnes avec lui. Ce n'est pas pour autant que j'ai recruté 6 personnes dès mon arrivée. Je voulais que les choses se fassent crescendo, que chacun se sente bien avant de faire évoluer les choses.
Quelle touche personnelle avez-vous apporté à la carte des différents restaurants ?
J'apporte ma sensibilité, mes techniques, mais je n'invente rien. Le pâté chaud par exemple, c'est un plat qui remonte à l'époque d'Alain Ducasse et Christophe Morêt et qu'on a remis au goût du jour. Quand il y a des plats signatures forts, il n'y a aucune raison de les ôter de la carte. On doit juste les moderniser. Moi je suis là pour continuer cette évolution. Je n'aime pas la cassure, je suis garant d'un suivi.
Je veille également à attendre le bon moment avant de proposer certains produits à la carte. Pour moi, ça ne sert à rien de se précipiter sur les premières asperges ou les premières figues si elles ne sont pas encore bonnes. De plus, les trois premières semaines les prix de ces nouveaux arrivages sont indécents alors que la qualité est encore médiocre. Je préfère faire confiance à mes fournisseurs, aux maraîchers qui connaissent vraiment ce qu'ils vendent et qui sauront me dire quand ce sera l'instant T.
Mon but, c'est d'avoir le produit parfait pour que le client ne soit jamais déçu !
Vous vous sentez donc très concerné par l'origine des produits, l'environnement, etc. ?
Tout à fait. Alain Ducasse est d'ailleurs l'un des meilleurs représentants en la matière. Il a par exemple banni la viande du menu du Plaza Athénée. Si lui ne le fait pas, personne ne le fera !
Ici, on sert encore de la viande mais on fait très attention aux saisons, même pour la viande et la pêche. Notre but, c'est de mettre en avant les producteurs.
La transmission joue-t-elle un rôle important dans votre carrière au quotidien ?
Oui. Comme je le disais tout à l'heure, on n'invente jamais rien. Tout ce que l'on crée est issu de notre parcours, notre formation, ce qu'on a pu voir ou goûter. Le but c'est de comprendre les techniques et d'où l'on vient, ne pas oublier le passé. Si on sait cuire des viandes ou des poissons avec une telle précision aujourd'hui, c'est grâce au savoir cumulé au fil des années.
La cuisine c'est vraiment ça ! Si tu es fermé sur ton monde et que tu ne regardes que ton petit nombril, t'avances à ta manière mais ça n'est généralement pas suffisant.
Mais la transmission, ça va dans les deux sens. Moi aussi j'apprends beaucoup des gens avec qui je travaille, ils me poussent à augmenter mon niveau, à toujours me surpasser et relever les défis.
En parlant de défi, récupérer une troisième étoile est un objectif pour le Meurice ?
C'est un but, oui. Ce n'est pas une fin en soit mais l'objectif est de viser l'excellence. Et si demain on récupère cette troisième étoile, on tendra vers une quatrième, même si elle n'existe pas. Il faut se donner un challenge en plus. Pour moi, la plus belle récompense vient des clients satisfaits ! Après la sortie du dernier Guide Michelin, on a pris le temps avec Alain Ducasse pour comprendre où on avait fauté pour mieux rebondir. Et aujourd'hui, c'est le travail de toute une équipe qui est engagé, du chef de salle au sommelier en passant par moi.
Avez-vous un pêché mignon ?
Oui, et c'est tout sauf quelque chose de gastronomique : le chips. J'adore ça ! J'aime le goût de la pomme de terre. Il n'y a pas plus basique que cela mais quand elle est parfaite et bien préparée, c'est divin.
Sinon, je suis un grand gourmand ! Mes goûts ont évolué avec le temps. J'étais plus salé avant et à force de goûter les pâtisseries dans les restaurants où j'ai travaillé, je suis devenu un bec sucré. Et on est vraiment gâtés ici avec Cédric Grolet !
Après toutes ces années passées en tant que chef, comment faites-vous pour toujours trouver l'inspiration ?
J'aime le challenge ! Mon inspiration je la puise dans les choses que je ne sais pas faire pour toujours avancer. Par exemple, j'ai passé mon CAP Pâtisserie il y a 25 ans et j'aimerais beaucoup apprendre les nouvelles techniques, car cet univers a énormément évolué depuis. Je me consacre à 100% à la cuisine mais ça serait une envie. Et les connaissances que j'ai acquises en passant ce diplôme me servent aussi pour la cuisine, la précision... Si on commence à se dire qu'on a plus rien à apprendre, autant tout arrêter !
Y'a-t-il un projet en cours/futur dont vous aimeriez nous parler ?
Au niveau professionnel, j'aime ce que je fais au quotidien. Je ne me suis jamais fixé de but ultime. J'ai envie de me faire plaisir, de me lancer des défis et j'accueille les challenges au jour le jour. Quand je ne serai plus de ce monde, si on se souvient de moi comme d'un gars sympa, j'aurais déjà tout gagner.
Où ? Le Meurice d'Alain Ducasse, 228 rue de Rivoli, 1er arrondissement de Paris.
Crédit photo : Pierre Monetta