On l'appelle "The Great Resignation" : le boom des démissions qui de l'Europe aux Etats-Unis a vu le monde du travail changer depuis fin 2020. Un phénomène qui s'est accentué au premier semestre 2021 et qui également touché le monde de la restauration, déjà en crise profonde. Les raisons sont nombreuses et amènent au seul résultat possible : le changement.
Au cours des deux dernières années, de nombreux chefs expérimentés ont abandonné un travail qu'ils aimaient en cause des mauvaises conditions de travail, d'une insatisfaction personnelle et financière, de l'impact que le travail en cuisine semblait avoir sur leur bien-être physique et mental. Ce n'est certainement pas une nouveauté, la nécessité de changer le modèle culturel des cuisine a été une thématique importante, traitée par les journaux spécialisés et par plusieurs événements gastronomiques ces dernières années ; la pandémie n'a fait qu'accélérer un processus déjà en cours qui a pour objectif l'abandon de la habitudes et pratiques toxiques du passé.
Changer de mentalité, cependant, n'est pas si simple et l'espoir du renouveau réside dans la nouvelle génération de chefs qui, avec les bons outils dès le début de leurs carrières, représentent la plus grande opportunité de changer les mauvaises habitudes.
Annette Sweeney, maître de conférences à la Technology University of Dublin, travaille dans ce sens et a créé en 2019 The Mindful Kitchen, un module destiné aux étudiants en arts culinaires.
Anette Sweeney
« Food on the Edge a toujours été une grande source d'inspiration pour moi. Depuis 2015, nous organisons des programmes pour nos étudiants à partir des suggestions qui viennent du Forum de Dublin", explique Sweeney " Nous avons un cursus de cuisine botanique en collaboration avec l'Airfield Estate, où les chefs retournent à la ferme et apprennent à cultiver leur nourriture. C'était le premier cours de ce genre en Europe. On a également conçu un Master en Cuisine Appliquée, le premier au monde, qui vise à enseigner aux chefs la science nécessaire pour créer un menu qui respecte la santé et le bien-être".
Mais Sweeney ne s'est pas arrêté là. Après avoir vérifié les bienfaits de la mindfulness dans sa vie, elle a essayé de l'appliquer également à la pédagodie de l'Université.
« En toute simplicité, j'ai appliqué ma pratique consciente, peu importe comment vous l'appelez, à l'éducation. J'ai commencé à l'utiliser dans les formations de chefs car beaucoup d'entre eux ont du mal à aborder les parcours académiques. C'est ce qu'on appelle « pédagogie contemplative » ou « enquête contemplative ». »
« Dès le début, les résultats ont été très intéressants et je suis allé aux Etats Unis pour en savoir plus sur cette technique. L'une des questions auxquelles j'ai tenté de répondre était : comment allez-vous intégrer cela dans votre enseignement ? » « Porter la mindfulness dans la vie de la cuisine a été la réponse. Les chefs qui ont participé au Master nous ont parlé de l'impact positif que cela a eu sur leur travail et sur toute la brigade ». La prise de conscience est partout de nos jours et elle est incroyablement efficace pour transformer les individus, les équipes et les environnements de travail.
« Mon travail vise sensibiliser les chefs sous deux angles : prendre soin de leur esprit, pratiquer le qigong, le yoga et la respiration, se concentrer sur eux-mêmes. C'est un exercice très simple qui peut être fait en cuisine. Ainsi, lorsque les chefs sont au travail, ils peuvent se rapporter à cet espace de manière très naturelle. Ce type d'enseignement appliqué en dehors de la salle de classe permet aux chefs de gérer le stress pendant le service. »
« De toute évidence, différentes choses fonctionnent pour différentes personnes, certaines aiment la respiration, d'autres préfèrent le silence. En plus d'appliquer la pleine conscience à chaque individu, nous travaillons également à la relation aux les autres, la brigade et l’équipe en salle. De cette façon, nous pouvons créer une nouvelle culture culinaire et former les leaders de demain. Nous organisons des jeux de rôle et discutons sur les résultats. La mindfulness aide également du point de vue de l'organisation de la cuisine et de l'approvisionnement alimentaire : être conscient lors de la préparation d'un plat est une forme de créativité consciente. Être innovant avec les ingrédients, en utilisant des déchets. Certains chefs ne croient pas qu'ils peuvent être créatifs, mais ils ont tous cette capacité. »
L'idée de « gastronomie sociale » - le thème du symposium Food On The Edge 2021 - a fait son chemin et Sweeney l'intègre dans son travail. Les étudiants en cuisine aiment utiliser leurs compétences pour rendre le monde meilleur.
« En écoutant JP McMahon parler pendant le confinement, il est devenu clair que la gastronomie sociale est la nouvelle voie des métiers l’accueil. Donc, si c'est le cas, nous devrions vraiment former les chefs à cette quête à cette nouvelle forme d’accueil. L'idée de départ est qu'on travaillerait sur ce projet avec des étudiants qui nous ont dit vouloir nourrir les sans-abris, ou envoyer les ingrédients aux gens puis faire des démonstrations en visio et des séances de cuisine supportées par un partenaire social pour aider des personnes en difficulté. »
« Pour travailler la terre avec des émotions positives, vous devez être vraiment ancré en vous-même. Nous incitons les étudiants à se « regarder » véritablement à travers la pleine conscience, avec empathie, gratitude et gentillesse. C’est quelque chose dont nous avons tous besoin maintenant, après tant de cas d'épuisement professionnel dans la restauration. Pour cela j'ai créé un nouveau cours d'art culinaire basé sur la psychologie positive appliquée. Je pense que c'est l'avenir et nous devons l'intégrer dans l'éducation. »