Il y a trois ans Laurent Petit, chef du restaurant doublement étoilé Le Clos des Sens (Annecy), a fait ce qu'il appelle son "cooking out". Se sentant prisonnier des "codes de la gastronomie", qui sous-entendent que les grands restaurants doivent servir des mets d'exception comme le foie gras, la langouste ou le caviar, ce fils de bouchers a fait sa révolution à son échelle pour se recentrer sur l'essentiel. "La cuisine que je fais aujourd'hui exprime autre chose que mon métier de cuisinier", explique Laurent Petit. "Il y a un petit côté éco-citoyen."
Exit les produits venus de l'autre bout de la France par camion et les langoustines d'Ecosse transportées par avion. Le chef, reconnaissable à ses petites lunettes rondes, veut donner du sens à sa cuisine en ne travaillant qu'avec des "producteurs de saveurs" établis dans les alentours d'Annecy. "C'était certainement une crise de la cinquantaine", s'amuse le chef, "mais il y a aussi eu une réflexion qui m'a marqué. A l'époque, je faisais un rouget aux écailles soufflées et un journaliste m'a dit que c'était un plat grandiose mais qu'il était dommage de le présenter à Annecy car ce poisson n'était pas local", se souvient-il. "Je me suis rendu compte que je pouvais devenir une petite vitrine locale de ce qui se fait de mieux sur notre terroir et ça m'a complètement libéré. Quand on pense restreindre le champ, il ne fait en réalité que s'élargir. J'ai découvert des produits mais surtout je les ai interprétés de façon totalement nouvelle", se réjouit le chef, particulièrement content de l'une de ses dernières créations : la Tarte au chou vert et fera fumée, sauce aux oeufs d'automne. "Si je ne m'étais pas mis pas de restrictions, ce plat ne serait jamais sorti", assure Laurent Petit.
Après nous avoir bien expliqué sa nouvelle philosophie en cuisine, le chef a accepté de nous en dévoiler plus sur ses méthodes et ses projets.
Depuis votre "cooking out", comment choisissez-vous vos producteurs ? Je travaillais déjà avec quelques producteurs du coin. Mais depuis cette transition, j'échange beaucoup plus avec eux. Ce sont d'ailleurs eux qui m'ont recommandé d'autres producteurs et pêcheurs. Aussi, depuis trois ans, j'invite systématiquement les producteurs avec lesquels je travaille à venir manger dans mon restaurant. C'est essentiel sinon ils ne comprennent pas ce que je vais faire de leurs produits. Quand je reçois une fera je vais l'exploiter jusqu'au bout ! Je vais récupérer les oeufs pour en faire une sauce adiculée, je vais fumer la chair... Jamais le pêcheur ne peut imaginer ça tout seul !
Avez-vous déjà eu des retours de clients déçus de ne pas avoir eu du homard ou des langoustes à la carte ? Non et ça c'est une grande satisfaction ! Jamais en trois ans je n'ai eu de réflexion là-dessus. Et le plus marrant c'est que parfois il se produit des petits miracles qui sont un peu comme des pieds de nez à tout ça. Début décembre, j'ai par exemple reçu de la truffe, un produit qui répond complètement aux codes de la gastronomie, mais qui a poussé dans l'Ain un mois avant la saison "normale". Je trouve ça génial ! C'est dans ces cas-là que le mot "saisonnalité" reprend toute sa noblesse. Avant, je commandais aux producteurs les produits dont j'avais envie. Aujourd'hui, j'ai appris à les écouter et à m'adapter à ce qu'ils me proposaient et ça devrait toujours être comme ça. Les cuisiniers sont des enfants gâtés qu'il faut rééduquer.
Vous qui travaillez avec beaucoup de jeunes (25 ans de moyenne d'âge), comment leur faites-vous comprendre tout cela ? Déjà, je les emmène avec moi rencontrer les producteurs pour qu'ils se rendent compte du travail que cela représente. Aussi, on attaque notre propre jardin en permaculture. On a récupéré 1.000 mètres en bas du terrain actuel et à cette époque l'année prochaine, on aura nos propres légumes. Il n'y aura pas plus local ! Je rêvais de raccourcir encore plus le parcours terre-cueillette-assiette et ça sera possible grâce à ça. L'idéal serait que les légumes ne connaissent pas le frigo. Mon but, c'est surtout que mes cuisiniers passent une heure tous les matins dans ce jardin pour comprendre tout le cheminement.
Parlons un peu plus de vous. Avez-vous un péché mignon ? Oh oui ! Je craque devant le fromage. Tous les fromages ! Il y a tellement de saveurs, de textures, d'arômes différents sur un seul plateau, c'est magique ! Quand on pense que ce n'est souvent qu'une question d'affinage je trouve ça dingue.
La deuxième chose devant laquelle je craque facilement c'est l'éclair à la vanille... Même s'il n'est pas bon (rires) ! Ca doit remonter à l'enfance.
Dans le même ordre d'idée, y'a-t-il un souvenir culinaire qui restera gravé pour toujours dans votre mémoire ? Le premier souvenir qui me vient en tête est le suivant : quand j'étais petit, on recevait une fois par semaine une couturière qui venait sans doute repriser quelques vêtements à la maison. Pour le goûter, on mangeait toujours une tarte aux mirabelles. Je ne me souviens plus si c'est ma mère qui la faisait ou la couturière qui l'amenait, mais je me rappelle très bien de ces moments.
L'autre souvenir s'est passé il y a trente-trois ans. Je débutais en tant que cuisinier à Paris et j'ai mangé une Raviole de foie gras dans un bouillon de queue de boeuf au Trou Gascon d'Alain Dutournier. C'était incroyable.
Si vous aviez l'occasion de faire un dîner à 4 mains, quel chef choisiriez-vous ? J'aimerais travailler avec un chef qui n'est pas encore connu. Mon dernier coup de coeur je l'ai eu en début de mois chez Jérôme Bigot du restaurant Kamouraska. Il a racheté une gallerie d'art où il a installé une table d'hôtes de douze personnes, des étagères pour mettre des bouteilles de vin, une hôte ménagère et il fait la cuisine là-dedans. J'ai adoré la pureté de sa cuisine et si demain il me demande de faire un quatre mains, je fonce !
Où ? Le Clos des Sens, 13 rue Jean Mermoz, Annecy-le-Vieux.
Crédits photos : Matthieu Cellard.