Dans les allées du marché de Phsar Chas (le vieux marché) de la ville coloniale de Siem Reap au Cambodge, le chef français Joannès Rivière connait les meilleurs étals pour trouver les meilleurs produits. « Cette femme vend les meilleures bananes, très sucrées » ou encore « Voici mon fournisseur de noix de coco ». Il sait aussi où se trouvent les plus savoureuses langoustines du Mékong . Le chef propriétaire du restaurant Cuisine Wat Damnak, s’approvisionne en fruits de mer auprès de plusieurs fournisseurs du marché. D’ailleurs tous les produits de mer qu'il utilise proviennent uniquement du Cambodge. Les poissons d’eau douce sont pêchés à Tonlé Sap, le lac le plus large de l’Asie du Sud-Est. Les crabes empilés sur de la glace viennent de Keb, sur la côte sud du Cambodge, et se retrouvent en cuisine après une journée de voyage où le Chef Rivière les cuisine sautés dans une poêle avec le célèbre poivre de Kampot.
Tous les mardis, les deux menus dégustation du restaurant changent selon la saisonnalité et disponibilité des produits. Donc lorsqu’il fait ses courses au marché, le Chef Rivière doit s’assurer d’avoir assez de provisions pour une semaine entière de menus équilibrés. Son restaurant est l’un des plus estimés du pays grâce à sa créativité en cuisine et sa passion pour les produits de saison, les saveurs authentiques et l’usage d’ingrédients recherchés. « J’essaie de prouver qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser des produits importés comme le foie gras : il est possible de faire un restaurant d’envergure internationale avec des produits locaux. »
Joannès Rivière s’approvisionne aussi dans des coopératives de fermes locales, dont les familles ne gagnaient que $2 avant que l’ONG danoise Agricultural Development Denmark Asia (ADDA) ne vienne les aider. Il travaille aussi avec quelques familles pour des produits spécifiques, tels que les feuilles de gingembre sauvage et des bilimbis. Le porc et les poulets fermiers utilisés au restaurant proviennent de la province de Siem Reap. « J’aime travailler les produits, » déclare le chef français, né à Roanne dans une famille de fermiers de l’agriculture biologique. Après avoir suivi une formation de cuisinier, il a aiguisé ses talents de pâtissier aux États-Unis. En 2003, il s’est rendu dans le Sala Bai Hotel School à Siem Reap en tant qu’instructeur culinaire bénévole, où il a écrit un livre de cuisine cambodgienne.
De 2005 à 2010 il était le chef exécutif du Restaurant Meric de l’Hôtel de la Paix (devenu Park Hyatt), où il a développé une première conception de cuisine cambodgienne contemporaine basée sur des interprétations créatives de plats locaux. « Je n’ai pas autant de temps pour sillonner le Cambodge comme avant » explique-t-il. « Mais je trouve encore de nouveaux produits de temps en temps, ou une nouvelle technique, sur laquelle je travaille par la suite. Lorsque je trouve quelque chose qui marche, je continue à la développer. »
Joannès Rivière a un répertoire de 300 plats, avec plusieurs variations d’un même plat. Chaque menu présente son interprétation de quelques plats traditionnels, comme son curry Saraman très épicé, un plat au curry venant des musulmans cambodgiens, proche du curry Massaman thaïlandais, et proche de plats qui pourraient avoir un goût typiquement cambodgien mais qui ne ressemble plus en rien au plat d’origine.
« Le porridge de riz noir collant contient exactement les mêmes ingrédients que le boborporridge qu’on retrouve partout pour le petit déjeuner, avec des navets, du riz et des calamars secs. Mais quand je le prépare avec du riz collant noir, la texture est proche de celle du risotto même si le goût est le même que le bobor, » explique-t-il. En ce moment, ce qui intéresse le chef, c'est la fermentation, le contraire du fourrage de sa jeunesse lorsqu’il cueillait des champignons et des fruits des bois. « C’est intéressant parce qu’il y a une grande culture de fermentation au Cambodge, donc il y a beaucoup d’expériences à faire. J’ai préparé ma propre sauce chili fermentée – ma propre sauce Sriracha ! – et ça marche très bien, » dit-il.
Et les tendances ? Joannès Rivière confie qu’après 12 ans de vie au Cambodge il est difficile de suivre les tendances culinaires qui se développent dans le reste du monde.
Toutes les images pas Terence Carter.