"C'aurait pu être une belle fête. Pour ses 30 ans, Martin avait réservé chez nous. Une table de 8, un samedi soir, dans un restaurant parisien." Ainsi débute la lettre ouverte de Jean Valfort, fondateur du groupe Farago (Astair, Farago Pintxoclub, Candelma, etc), publiée le 16 janvier sur LinkedIn, suite au "no-show" de ce fameux Martin.
Le "no-show", terme anglo-saxon, désigne une personne - ou un groupe de personnes - n'honorant pas une réservation faite dans un restaurant, sans même prendre la peine de prévenir. "Nous sommes typiquement la cible de ce genre de phénomène", déplore le fondateur de la brasserie Astair dans le 2e arrondissement de Paris. "Nous ne sommes pas un restaurant gastronomique qui peut se permettre de demander une caution aux clients, mais nous ne sommes pas non plus un restaurant où l'on dépense 20 euros pour un menu. Ici, le ticket moyen est entre 50 et 70 euros."
Chaque samedi soir, Jean Valfort déplore 25% de "no-show" dans son restaurant. "Parfois, près de 50% des réservations ne sont pas honorées. Le pire, c'est lorsque M6 a fait un reportage sur nous dans leur journal télévisé. Suite à cela, nous avons eu 80 réservations en quelques minutes. Seulement 20 sont venues."
Le "no-show" de Martin le week-end dernier a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. "Cela faisait un moment que j'avais envie de pousser un coup de gueule et j'ai enfin décidé de le faire. Chez Astair, on a fait le choix d'un système de réservation flexible : les gens peuvent réserver à 20h30 s'ils le souhaitent, et non pas uniquement à 19h ou à 22h. Ca nous empêche de faire deux services mais ce n'est pas grave, on s'adapte. Ce fameux Martin nous avait même demandé une table sympa et un gâteau d'anniversaire fait sur commande", nous raconte Jean Valfort, une once d'amertume dans la voix.
Le lendemain, le restaurateur a envoyé un message au client pour avoir quelques explications. "Je lui ai écrit pour savoir s'il lui était arrivé quelque chose de grave, en ajoutant que si ce n'était pas le cas, je pouvais lui rappeler quelques règles de courtoisie. Le jeune homme m'a répondu en disant que c'était un scandale que je l'appelle sur son numéro personnel. Que mon comportement était puéril."
Puéril ? Pas tant que ça. "Les gens ne réalisent pas qu'un restaurant est une entreprise. Beaucoup se disent que c'est un lieu où l'on prend du plaisir, que les gens qui y travaillent sont des passionnés... Certes, mais nous avons tout de même des charges, des employés à payer, des crédits à rembourser", rappelle Jean Valfort. "Quand vous faites votre business plan, vous ne prenez pas en compte ce phénomène de "no-show". Vous imaginez la salle pleine tous les soirs... Si votre restaurant se plante parce que vous n'êtes pas bon, c'est une chose. Mais si vous vous endettez parce que les gens qui réservent ne viennent pas, c'est une autre histoire."
"En réservant, les gens bloquent une table. Si d'autres clients appellent et que le restaurant est complet, on doit les refuser alors qu'eux seraient peut-être venus."
"Si un soir le restaurant n'a pas beaucoup de réservations, on envoie du personnel en repos et on s'adapte. Au contraire, si l'établissement est complet, on fait venir toute l'équipe et on prend même des extras. Au final, si 50% de la salle vous plante, vous aurez fait plus de dépenses pour moins de rentrée d'argent... On ne peut pas s'en sortir !"
Mais comment expliquer que tant de personnes ne prennent même pas la peine de prévenir en cas d'imprévu ? Passer un coup de fil ne prend pas plus d'une minute. Si la réservation a été faite par internet, via des sites tels que La Fourchette, il suffit d'un clic pour annuler sa réservation, sans justification à fournir. "Ces systèmes qui sont censés faciliter la vie de tout le monde ne changent pas grand chose", constate Jean Valfort. "Le problème avec internet, c'est qu'on réserve via une machine, ce qui déshumanise complètement la démarche. Les clients ne réalisent pas toujours que derrière, il y a des vrais gens qui travaillent."
Alors, quelle solution pour limiter ce phénomène grandissant et très handicapant pour les restaurateurs ? "D'abord, il faut une prise de conscience des clients. Qu'ils se rendent compte que tout cela n'est pas anodin. Et je ne parle pas que des restaurants. Ma lettre a été lue déjà plus de 100.000 fois sur LinkedIn et j'ai reçu des témoignages de gérants de spa, de médecins, de dentistes qui font aussi face à ce phénomène. Je pense que c'est le rôle de média de mettre un coup de projecteur sur tout cela."
"Dans les pays anglo-saxon, les restaurants très prisés prennent une empreinte de carte au moment de la réservation et personne ne s'en offusque. Je pense qu'à terme, ce système sera la seule solution viable pour nous en sortir..."
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