La notion de restaurant est en pleine mutation. Afin de faire un point sur cette évolution, Le Fooding et S.Pellegrino ont organisé le 28 novembre 2019 une conférence/débat sur le thème « Le restaurant est mort, vivent les restaurants ! ».
Un talk animé par la journaliste Giulia Foï, en présence des cheffes Céline Pham, Tatiana et Katia Levha, du chef pâtissier Yann Couvreur, de Lucas Pronzato, fondateur de We are Ona, de Tigrane Seydoux, Fondateur de Big Mamma et Alessandro Celli, directeur général Europe de Deliveroo. Petit plus, le chef Sébastien Bras a participé et conclu le talk via Skype, en direct du Japon.
Pendant deux heures, ils ont décortiqué leurs expériences de chef/fes et acteurs de la restauration, afin de comprendre comment cet univers est en train d’évoluer sous le poids de différents facteurs comme l’omniprésence des réseaux sociaux ou l’essor des plateformes de livraison de plats cuisinés.
Une chose est certaine : le restaurant est loin d’être mort, il continue à vivre en tant que un lieu unique et identitaire qui permet aux clients de faire une expérience multi-sensorielle inédite, tout en explorant de nouveaux modes d’expression. Fine Dining Lovers était présent et vous résume les points clés du débat.
1. Extragram
Je mange donc je poste : l’expérience gastronomique a incroyablement changé à l’ère des réseaux sociaux. Mais comment ce changement a-t-il impacté la vie des restaurants et des restaurateurs ?
La restauration est depuis toujours un important sujet de partage, mais l’explosion des réseaux sociaux a amplifié de façon considérable l’impact du « bouche à oreille ». Grâce à Instagram, comme le dit très bien Tigrane Seydoux, « chaque consommateur est devenu un critique ». Il est donc important que les restaurateurs se positionnent par rapport à cet outil de communication puissant.
D’un côté Yann Couvreur, tout en admettant ne pas être trop à l’aise sur Instagram, reconnait l’importance de la vie « virtuelle » de ses pâtisseries, qui voyagent sur le net surtout grâce aux hashtags utilisés par les passionnés de ses créations pâtissières.
Chez la grande famille Big Mamma, seulement une personne se dédie aux réseaux sociaux, et la vie de leur compte Instagram à 180 k abonnés grandit tout seule grâce à la renommé du groupe : « On essaie juste de poster de belles photos ». Toutefois, il faut que la qualité de la nourriture proposée soit à la hauteur de la notoriété qu’on a sur les réseaux sociaux, sinon tôt ou tard la réalité viendra s’imposer.
Mais qui dit Instagram, dit aussi influenceurs, qui sont pour la plupart désormais intégrés dans les stratégies de communication des restaurants. 92% des jeunes français disent que les influenceurs sont plus crédibles qu’une marque ou que les journalistes : leur puissance réside dans le fait qu’ils ont une façon plus spontanée et accessible de véhiculer un message, ce qui les rend plus « proches » du client par rapport à la presse, selon Yann Couvreur.
Quelle sera la prochaine étape ? Ira-t-on vers une interdiction des Smartphones dans les restaurants ? Cela arrive déjà dans certains établissements, alors que d’autres en préconisent la non-utilisation, en proposant des réductions sur l’addition. Chez Big Mamma, on est encore très loin de cela. « Pour nous l’important est de créer un lieu de convivialité et partage, je n’ai pas l’impression que les Smartphones soient omniprésents sur les tables de nos restaurants » conclut Tigrane Seydoux.
2. A table où je veux, quand je veux
On ne peut pas le nier : dans les dernières années, le développement des services de livraison de plats cuisinés a été à l’origine d’une vraie révolution des habitudes alimentaires. Il est désormais possible recevoir à domicile le plat dont on a envie en quelques clics, à n’importe quel moment de la journée.
Alessandro Celli, directeur général Europe de Deliveroo, explique que le client est au centre de leur service, qui propose de plus en plus de modalités de livraison. Le rôle et les modalités de travail des chefs évoluent aussi au sein de ces services. D’où la naissance, par exemple, des Dark Kitchens, des « restaurants sans salle à manger » qui préparent des plats dédiés uniquement à la livraison.
Mais que reste-t-il du restaurant, quand il n’y a plus de restaurant ? L’expérience gastronomique proposée par les restaurants pourrait-t-elle évoluer grâce ces plateformes ?
On ne peut pas généraliser. Cela dépend de la nature du service et de la nourriture offerte. La pâtisserie se prête assez bien à ce type de mode de consommation : Yann Couvreur admet se servir des services de livraisons pour faire arriver ses créations à domicile chez ses clients.
Au contraire, pour d’autres formes de restauration elle n’est juste pas concevable. La cuisine est souvent compliquée à transporter, le résultat final est très difficile à contrôler. Tatiana et Katia Levha et Tigrane Seydoux, de leur côté, n’ont jamais envisagé de s’inscrire sur une plateforme de livraison : leurs restaurants proposent aux clients une expérience globale, pas seulement des plats.
Selon Tigrane Seydoux, l’expérience globale qu’on peut faire en poussant les portes d’un établissement va au-delà de la nourriture qu’on y déguste, c’est un moment de partage, de convivialité et de détente. Voilà pourquoi la restauration ne sera jamais menacée par les plateformes de livraison de plats cuisinés à domicile. C’est juste deux services différents.
3. De chefs à chef.fe.s
Comment l’élément féminin change l’expérience globale proposée par un restaurant ? D’après les dernières statistiques, environ 50% des personnes qui sortent des écoles de cuisine, sont des femmes. Malgré cela, seulement 6% des personnes travaillant dans l’univers de la restauration en France ce sont des femmes.
On le sait : « le métier est très dur et contraignant » et surtout difficile à concilier avec une vie familiale, affirme Tatiana Levha. Mais l’histoire des deux soeurs Levha, mères de familles et cheffes d’entreprises à la tête de deux restaurants parisiens de succès, montre très bien qu’il est possible de le faire. Mais les codes de fonctionnement de leurs restaurants ont du changer avec leurs vies : « on a cherché un équilibre différent, en créant des horaires équilibrés, un environnement de travail respectueux pour tout le monde. Aujourd’hui on ne peut pas parler de durabilité sans mettre au cœur de tout ça l’humain».
Quand les femmes prennent les clés en cuisine, on est généralement dans un registre moins militaire, les hiérarchies deviennent moins rigides, on apprend à déléguer et la vie du restaurant devient plus collaborative : « cela permet de responsabiliser toute l’équipe, mais aussi de faire ressortir le meilleur de chacun », ajoute Tatiana Levha.
Mais concilier vie professionnelle et privée est important pour tous dans le milieu de la restauration, pas uniquement pour les femmes. Le groupe Big Mamma, par exemple, est la première entreprise de restauration européenne à avoir reçu le label B Corp, une notation qui évalue l’impact social et environnemental d’une société, et la mixité hommes/femmes est un des critères pris en compte.
4. Chefs sans domicile fixe…
Chefs nomades, chefs en résidence : la nouvelle génération de chefs est « mobile ». Ils poussent les codes de la restauration classique, zigzaguent, prennent la liberté de tout remettre en question, réinventent et créent de nouvelles expériences gastronomiques.
Céline Pham en est l’incarnation. Après avoir travaillé dans certains des restaurants les plus hype de la capitale (Ze Kitchen Galerie, Saturne, Septime), elle a voulu arrêter d’avoir une cuisine fixe. La jeune cheffe a été en résidence chez Fulgurances, un incubateur de jeunes chefs qui leur permet d’avoir un restaurant temporaire. Pour elle, cela a été une sorte de formation accélérée, qui lui a permis de comprendre toutes les facettes du métier. Aujourd’hui la « cuisinière indépendante » est à la tête du concept-restaurant Tontine, cantine éphémère et collaborative gérée avec son frère, nichée sous le rooftop du Perchoir à Ménilmontant jusqu’à fin 2019. On est bien curieux de savoir quel sera son nouveau challenge gastronomique !
Le concept de challenge est aussi au centre de l’expérience We are Ona : un jeune projet né il y a moins qu’un an, dans l’idée de créer des expériences gastronomiques éphémères, grâce à la collaboration entre jeunes chefs nomades provenant du monde entier, mas pas que. « C’est une ambition de ressembler une communauté de jeunes chef, mixologues, baristas, pâtissiers, serveurs, producteurs toutes les figures de la restauration, pour prendre ensemble des « risques créatifs » et investir des endroits inédits », explique le fondateur du projet, Lucas Pronzato. Ces expériences de restauration éphémère permettent de récupérer une sorte de plaisir ludique qu’on perd à long terme quand on travaille dans des structures plus traditionnelles.
... et chefs sans étoile(s)
Dans un moment où les codes changent et formats de restaurant s’émancipent, peut-t-on s’émanciper aussi de la « course aux étoiles » ?
Si le guide Michelin est une institution intouchable, chez la nouvelle génération de chefs il y a souvent une envie de liberté d’expression que les règles du guide Michelin ne permettraient pas. « De notre côté, on a eu la chance de pouvoir réussir sans les étoiles et on les a jamais vraiment cherchées » affirme Katia Levha, en expliquant qu’elles ont toujours été contentes de pouvoir être libres dans la définition de leur offre gastronomique.
Dans les dernières années il y a un petit vent de rébellion et d’affranchissement qui souffle dans le domaine de restauration. Un exemple qui a fait grand bruit : en 2017, Sébastien Bras renonce à ses trois étoiles pour "avoir l'esprit libre" et "continuer sereinement " à faire vivre son restaurant le Suquet. Après deux ans le chef, qui participe à la fin du talk par Skype en direct du Japon où il est en train d’ouvrir une table, se dit content d’avoir pris cette décision, en ayant l’impression d’avoir retrouvé une espèce de liberté d’esprit et d’indépendance : « j’ai choisi ce métier pour le plaisir de partager, ma cuisine, mon territoire, mes émotions et pas pour vivre sous pression toute ma vie ! »
Le 6 décembre, le resto vient chez vous !
Si la montagne ne va pas à Mahomet, Mahomet ira à la montagne : si vous n’allez pas au resto, le restaurant viendra chez vous ! Un événement tout à fait inédit organisé par Le Fooding et S.Pellegrino, fera suite à ce talk : le 6 décembre prochain, les frontières entre le restaurant et la maison se flouteront et bien 25 chefs inscrits dans le célèbre guide seront prêts à se déplacer chez l’habitant pour concocter un dîner exceptionnel pour 8 personnes. Les réservations sont encore ouvertes, n’hésitez pas à vous offrir cette expérience gastronomique révolutionnaire !
Quand ? Le 6 décembre 2019. 17h mise en place avec l'hôte, le chef et le maître d'hôtel et dîner de 19h à 23h. Prix : 400€ la table de 8 personnes (50€ par personne)
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