Maxime Laurenson est un chef pas comme les autres. Contrairement à beaucoup de cuisiniers qui ont choisi cette vocation depuis toujours, ce jeune trentenaire est "tombé dedans par hasard". Après un an d'études en management où il s'ennuie à mourir, il décide en effet de tout plaquer à l'âge de 18 ans et de devenir saisonnier "pour faire la fête et profiter". Et là, c'est le coup de foudre : "J'ai adoré cet univers, cette ambiance et je me suis très vite dit que je voulais faire ça et rien d'autre", se souvient Maxime Laurenson.
Le jeune chef s'envole ensuite pour le Canada et revient quelques années plus tard en France, pour travailler chez Mathieu Viannay à Lyon ou encore Jean Sulpice à Val Thorens.
Depuis un an et demi, Maxime Laurenson est le chef de Loiseau Rive Gauche à Paris, restaurant où le jeune homme peut enfin exprimer tout son talent et sa créativité. Rencontre.
Vous avez récemment reçu le titre de Jeune Talent Gault&Millau. Ca représente quoi pour vous ?
C'est hyper motivant pour moi mais aussi pour toute l'équipe. On bosse très dur, on a une cuisine qui évolue en permanence... Madame Loiseau me laisse carte blanche depuis un an et demi alors que je fais quelque chose de très personnel et ce genre de récompense, ça encourage à rester dans cette lignée.
Justement, quel style de cuisine avez-vous imposé en arrivant ici ?
Je fais quelque chose qui est lié à tout ce que j'ai vécu dans ma vie. Je suis né en Auvergne dans un système très paysan où la vie était rythmée par la nourriture, les produits, les saisons, les jardins, les bois... Ces modes de vie ont changé depuis quelques années, les besoins de la société évoluent et on doit s'adapter mais je fais tout pour continuer à travailler avec de petits producteurs. Notre métier c'est de faire avec ce que la nature nous offre. C'est de transmettre aux gens ces produits cultivés par des paysans qui travaillent très dur et font des choses extraordinaires.
Comment choisissez-vous les producteurs avec lesquels vous travaillez ?
Le plus important à mes yeux c'est l'humain. Quand je rencontre quelqu'un, que j'aime sa philosophie et la manière dont il travaille, ça me donne envie de collaborer avec lui. J'appelle mes producteurs plusieurs fois par semaine et pas que pour le travail mais aussi prendre des nouvelles, savoir comment ils vont. Je crée de vrais liens avec eux.
J'adore par exemple le travail d'Annie Bertin, qui cultive en permaculture. Elle arrive à des résultats exceptionnels mais parfois, les chefs sont bornés et veulent tel ou tel produit, alors qu'elle considère qu'un autre légume est beaucoup plus intéressant à un moment donné. Eh bien moi je l'écoute. Je ne cherche pas un légume calibré de laboratoire. Je veux retranscrire dans ma cuisine ce qui se passe dans la nature et ce que font ces gens car sans eux, le terroir ne serait pas ce qu'il est.
Selon vous, les chefs ont-ils le devoir de valoriser le travail des producteurs auprès de leurs clients ?
Oui et je pense surtout que les chefs peuvent enseigner à leur échelle à consommer mieux. Ca me désole de voir qu'aujourd'hui on peut créer de la viande à partir de celulles. Je sais qu'on va être de plus en plus nombreux et qu'il va falloir nourrir tout le monde, mais éduquons plutôt les gens à acheter moins de viande, de meilleurs légumes, de bons produits et à cuisiner plutôt que de fabriquer ce genre de choses. Et ça commence dès le plus jeune âge ! Il y a des enfants qui ne savent pas ce qu'ils ont dans l'assiette ou que l'oeuf sort du cul de la poule ! C'est hallucinant !
Vos racines auvergnates ont-elles une influence sur votre cuisine ?
Bien sûr ! Tout ce que m'ont apporté mes parents et mes grands-parents influence encore ce que je fais aujourd'hui !
Du coup, quel plat représente le plus toute cette philosophie autour de la nature, vos racines, etc ?
L'un des seuls plats qui ne change pas depuis un moment c'est un oeuf au Saint-Nectaire avec une tartine de Saint-Nectaire. Pour moi c'est régressif ! Je mangeais souvent ça étant enfant et c'est un plat qui fait du bien. Ca symbolise mon enfance, la région d'où je viens, ça me tient à coeur.
Quel souvenir gardez-vous de vos expériences auprès de Mathieu Viannay et Jean Sulpice ?
Mathieu Viannay est quelqu'un d'exceptionnel, très proche de ses équipes, à qui vous pouvez parler de tout... La Mère Brazier est l'une des maisons les plus formatrices que j'ai faite car tous les jeudis, chaque membre de la brigade devait créer un plat et le faire goûter au chef. Pour une personne comme moi, qui s'ennuie très vite, c'est hyper stimulant !
Ensuite, mon expérience chez Jean Sulpice a été déterminante. On est très proches et j'ai beaucoup de respect pour lui. Il m'a apporté une vision totalement différente de la cuisine. Quand je suis arrivé dans l'équipe le restaurant ouvrait deux semaines plus tard donc je me demandais ce que je foutais là mais pendant quinze jours, on a fait des essais "non visuels". Avant je pensais toujours au rendu et avec lui j'ai appris à me concentrer uniquement sur le goût. Ca a été un vrai déclic ! Il a une cuisine qui a une longueur et une puissance extraordinaire.
Maintenant que vous êtes chef à votre tour, que pensez-vous de la transmission et de l'avenir des jeunes dans ce métier ?
Je pense que si on veut que ce beau métier perdure, il faut changer quelques lois. Aujourd'hui par exemple, je suis arrivé à 8h45 et je sais que je ne partirai pas d'ici avant minuit. Ca ne me dérange pas, je suis un passionné, mais c'est très difficile aujourd'hui de motiver les jeunes à venir travailler autant pour un salaire modeste. Au Canada par exemple, les charges patronales n'existent pas et les employés sont payés à l'heure. Quand je travaillais là-bas, j'ai pu cumuler jusqu'à trois jobs et je gagnais très bien ma vie grâce à ce système.
Aujourd'hui, on n'a aussi beaucoup de mal à garder les jeunes avec nous parce qu'à l'école, quand ils font des stages en cuisine, ils font 9h-16h... A ce rythme, les jeunes ne peuvent pas comprendre exactement ce qu'on fait et le jour où ils travaillent pour de bon, ils arrêtent au bout de deux semaines parce qu'on ne leur a pas vendu les choses correctement. Mais attention, je ne suis pas en train de dire qu'on fait le métier le plus dur du monde ! On peut vivre de notre passion et ça, ça n'est pas donné à tout le monde.
Selon vous, quelle est votre plus grande qualité en tant que chef ? Et votre plus grand défaut ?
Hyperactif et... hyperactif ! Ca m'aide parce que j'ai beaucoup d'énergie mais c'est dur pour ceux avec qui je bosse car que je ne m'arrête jamais. Je change d'avis très souvent et ce n'est pas toujours évident de comprendre pourquoi. Heureusement j'ai une équipe en or ! Sans eux on n'aurait pas pu évoluer comme on l'a fait, même si on a encore beaucoup de choses à accomplir.
Un pêché mignon ?
Le foie de veau au vinaigre de framboise. Ma mère me faisait toujours ça pour mon anniversaire ça j'adore !
Un souvenir culinaire ?
Un jour, quand j'étais petit, ma grand-mère m'a donné pour le goûter une carotte que mon grand-père venait d'arracher dans le jardin. Je me souviens encore du goût ! C'est imprimé !
Un ingrédient ou une technique vous intrigue ?
La fermentation. Mes grands-parents conservaient leurs légumes toute l'année et on doit revenir à ça. Il ne faut pas vivre dans un monde aseptisé, une cuisne n'est pas une salle d'opération. Elle doit être propre bien sûr mais on reçoit des légumes, des animaux morts... C'est ça la cuisine !
Où ? Loiseau Rive Gauche, 5 rue de Bourgogne, 7e arrondissement de Paris.