A l'image des Troisgros ou de Michel et Sébastien Bras, Maxime et René Meilleur ont mis un point d'honneur à travailler en famille dans leur région natale.
C'est donc en Savoie, au sein du Domaine des Trois Vallées, que l'histoire a débuté il y a maintenant 40 ans. A l'époque, René Meilleur construit son petit restaurant dans les montagnes et propose des plats traditionnels tels que la raclette et la fondue savoyarde. Mais en 1981, un dîner chez Paul Bocuse crée le déclic ! C'est le début de l'ascension vers les hautes sphères de la cuisine.
Le père, autodidacte, est rejoint par son fils Maxime en 1996. Ensemble, le duo décroche sa première étoile en 2003. "La première étoile, c'était le départ d'une belle aventure pour un cuisinier et tout le village, un formidable coup de projecteur sur notre Maison", assurent les deux hommes. En 2008, René et Maxime Meilleur obtiennent leur deuxième étoile avant la concrétisation en 2015 avec le troisième macaron.
"La Bouitte… ou une aventure familiale devenue épopée ! D’années en années, en toute discrétion, René et Maxime Meilleur − père et fils très complices − ont forgé une table d’une sincérité rare, ode superbe à la Savoie. Chaque ingrédient est à sa place, cuisiné à la perfection, sans nulles afféteries. Les assiettes débordent de senteurs originales ; elles transpirent, tout simplement, le bonheur", commente le Guide Michelin 2016.
Alors que La Bouitte vient de fêter ses 40 ans, Maxime Meilleur a accepté de nous consacrer un peu de son temps pour faire le bilan de ces dernières années et parler avec amour de sa maison familiale.
Crédit : M.Cellard
Comment définiriez-vous votre cuisine ? Je dirais que notre cuisine est taquine ! Il y a beaucoup de vert et c’est vraiment une cuisine où l'on aime cacher des éléments. J’estime que chaque bouchée doit suprendre. Si vous mangez une île flottante, vous avez le même goût à chaque bouchée et c'est un peu rébarbatif. Nous, on veut créer la surprise à la dégustation !
Vous êtes récemment passé dans Top Chef pour parler des desserts d'enfance. Pouvez-vous nous parler du vôtre ? C'est un dessert au lait car en montagne, nous sommes entourés de vache et de nature. Pour un réveillon, nous avons voulu faire un dessert blanc car il y avait beaucoup de neige à l'extérieur et nous voulions rappeler ces couleurs hivernales. On a donc décliné le lait sous toutes ses formes en commençant par une confiture de lait, qui était la pâte à tartiner par excellence dans les années 1900 ! A l'époque, le sucre était un luxe et si on n'avait pas d'argent, on faisait de la confiture de lait pour en avoir un peu. C'était le petit bonheur de la journée ! Ensuite, on a travaillé le lait entier, demi-écrémé, de chèvre ou de brebis selon la période, et on a joué sur différentes textures en créant une meringue à la poudre de lait, un sorbet, une tuile givrée... En chaque personne il y a un souvenir d'enfance et c'est ce genre d'émotions qu'on souhaite recréer dans l'assiette !
Vous avez conservé vos 3 étoiles dans cette édition 2017 du Guide Michelin. Comment vivez-vous la sortie du guide chaque année ? C'est toujours une appréhension ! Il n'y a rien d'acquis. Une troisième étoile, ça se mérite, ça ne se donne pas. Il faut donc poursuivre notre effort de rigueur au quotidien.
D'ailleurs, qu'est-ce que l'obtention des 3 étoiles en 2015 a changé pour vous ? Tout et rien. Tout dans le sens où c'est une véritable avalanche ! C'est l'euphorie, la satisfaction et la fierté de toute une équipe ! D'un coup, les tables qui étaient vides sont occupées et on ouvre trois semaines supplémentaires par an, on a pu embaucher 5 personnes, on a créé des CDI... Quand on souhaite acheter de nouveux meubles par exemple, on n'hésite plus car on sait qu'on en a les moyens ! Mais les 3 étoiles ça ne change rien dans le sens où dès l'annonce, il faut tout de suite se remettre au travail. Un chef, c'est comme un champion olympique : il remet toujours son titre en jeu !
En 2015, vous avez aussi été élus meilleurs chefs de l'année avec votre père. Comment vit-on ce genre de reconnaissance ? Le magazine Le Chef, qui remet ce prix, est tenu par une famille qu'on adore, les Luzin. Ils ont su mettre notre cuisine singulière sous les projecteurs et c'était dans la continuité de notre travail. A l'époque, mon père et moi sommes montés sur scène avec nos femmes et c'était la première fois qu'il n'y avait pas que des chefs mis en avant. Nous avons fait ça pour montrer qui on était et prouver que chaque personne est importante dans notre maison.
Crédit : Marc Berenguer
La Bouitte a fêté ses 40 ans en décembre 2016 et effectué de nombreux travaux pour l'occasion. Pouvez-vous nous en dire plus ? Vous savez nous en Savoie on est comme les arum (plantes alpines) : on pousse très doucement mais on a des racines très fortes ! J'ai rejoint le restaurant de mon père en 1996, on était 3 en cuisine et aujourd'hui nous sommes 46 dans une maison de 3.000m². La superficie a été multipliée par 10 ! "La première génération a construit, la deuxième entretient et la troisième bouffe" comme on dit chez moi. Je fais partie de la deuxième génération et je voulais mettre ma pierre à l'édifice, rentrer dans les prochaines années avec des outils à la hauteur de ce que veulent les clients.
J’ai acheté la maison en 2015 pour soulager mes parents de l’entrepreunariat et je l’ai embelli dans tous les endroits où l'on pensait que c'était important pour le confort client au-delà de la restauration. On a investi pour faire plaisir et pour évoluer. On a fait un ascenseur, on a créé deux nouvelles chambres, une terrasse, un garage, un SPA, une grotte en résine... On propose désormais un soin à base d’argile, un bain de lait et de miel et un sauna au foin. On a aussi un hammam où, au lieu des huiles essentielles, nous utilisons la peau des agrumes du restaurant.
Vous faites également partie des Relais & Châteaux depuis le 1er juin 2016. Pourquoi avoir eu envie de rejoindre cette association ? On a beaucoup d'amis chefs qui font partie de cette chaîne et vu l'embellissement de la maison, cela faisait un moment que l'on nous conseillait de la rejoindre. Suite à l'obtention de la troisième étoile, Olivier Roellinger est venu nous féliciter et a trouvé notre endroit extraordinaire. Il nous a dit qu'il serait très fier de nous compter parmi les Relais & Châteaux et qu'on avait une belle carte à jouer. Ce sont des rencontres de ce genre qui donne envie d'avancer. On transpire la Savoie et ça leur plaît !
Crédit : Marc Berenguer
Depuis 2014, vous proposez aux clients de venir en cuisine toute une matinée pour voir le fonctionnement de votre brigade. Quelle importance accordez-vous à la transmission ? C’est hyper important. Mais vous savez ici, on transmet et on reçoit quand on fait plaisir à des gens ! C'est un échange naturel qui fait la force de La Bouitte. On a une identité très forte car il y a eu mes parents, mes grands-parents, tous les gens qui sont venus ces 40 dernières années et qui ont apporté leur pierre à l’édifice... On a encore plein de choses à apprendre, on est au sommet de la montagne et on a un panorama de folie, mais il y a d’autres montagnes à gravir et à découvrir. Ces cours sont pour des amateurs, pour leur montrer tout le travail qu’on fait et qu'ils se rendent compte de toutes les petites mains qui ont touché l’assiette. Toute la machinerie derrière un repas parait anodine, la technique peut paraitre invisible et quand on vient en cuisine, on prend conscience des compétences de chaque personne. C'est cet ensemble qui fait que quand ça arrive à table on fait "Waouh !".
Quand on est seul, on ne fait pas grand chose. Ici nous sommes comme une équipe qui gravit les montagnes. Il y a toujours un petit dernier qui a du mal mais on ne le laisse pas tout seul à l'arrière. On le prend par la main et celui qui a débuté novice finira expert, avec un poste à responsabilité.
Vous avez été champion de biathlon. Qu'est-ce que le sport et la cuisine ont en commun selon vous ? Pour moi c’est exactement la même chose ! Au début vous ne savez pas skier, vous apprenez avec un entraîneur, vous êtes repéré, vous devenez champion départemental, régional, puis vous partez en compétition nationale, vous arrivez en équipe de France et vous parcourez le monde en quête de médailles olympiques. Les médailles que je n'ai pas eu au ski, je les ai eu ici avec mes parents. C'est fou ! Ce n'était pas une obsession d'obtenir toutes ces récompenses mais j'ai l'impression de vivre un rêve !
Avez-vous des projets en cours ou à venir ? Il faut toujours des projets pour avancer ! Mais ici, on ne se pose pas trop la question, on vit au jour le jour. Il y aura encore du changement c'est sûr ! Si une maison n'a plus de projets elle régresse, la courbe du dynamisme s'essouffle... Il ne faut pas être délirant avec des choses irréalisables mais si cela rentre dans une logique d'investissement, on fonce !
Où ? La Bouitte, Saint-Marcel, Saint-Martin-de-Belleville.