Avant la crise sanitaire, 100.000 emplois étaient vacants dans le milieu de l'hôtellerie-restauration en France. Avec les confinements et les fermetures des restaurants à répétition, les chefs de rang, de partie, les commis et autres membres du personnel ont (re)découvert leur vie de famille et/ou sociale, le fait d'avoir leurs soirées et leurs week-ends, tout en percevant un salaire équivalent. Aujourd'hui, 200.000 offres d'emploi ne trouvent pas preneur et de nombreux restaurants sont contraints de rester fermés ou de n'ouvrir que partiellement, faute de personnel. Alors, les métiers de la restauration font-ils toujours rêver ?
Pour répondre à cette question, le festival Omnivore a réuni trois personnalités du monde de la restauration lors d'un "talk" animé ce lundi 13 septembre. Salaires, horaires à rallonge, vision tronquée de la réalité du métier à cause des émissions de TV, ces différents éléments ont été passés au crible mais un pan de la réalité a totalement été oublié - puis nié : celui des violences en cuisine. Fine Dining Lovers y était et vous résume ce débat.
Une vision du métier loin de la réalité
"Après leurs études dans l'hôtellerie-restauration, 2 jeunes sur 3 abandonnent la profession après seulement 3 ans", regrette Bernard Boutboul, président de Gira Conseil. Des chiffres alarmants qui selon lui, mais aussi Laurent Frechel du GNI (groupe national des indépendants) s'expliquent par une vision non réaliste du métier, imputée entre autres aux multiples émissions de télévision. "Top Chef et compagnie, ça ne reflète pas la réalité. Dans ces émissions, les candidats ont de belles cuisines et du matériel de qualité à disposition, quand la plupart des restaurants ont une cuisine de 4m² et peu de moyens pour renouveler le matériel." "En sortant de l'école, les jeunes ne savent pas à quoi s'attendre", renchérit Laurent Frechel. Horaires à rallonge, salaires peu valorisés, les jeunes diplômés - en cuisine ou en service - tombent parfois des nues en se confrontant à la réalité du métier. Pour autant, Laurent Frechel se veut optimiste. "Les métiers de la restauration sont parfois peu valorisés mais je pense qu'on peut les rendre plus intéressants. Un serveur, par exemple, n'est pas qu'un simple porte-assiette. Si la communication se fait correctement entre lui et la cuisine, l'expérience peut prendre une autre dimension et le serveur pourra passer un message plus clair en salle, avec les clients. Tout de suite, ce métier aura plus de sens." Bernard Boutboul évoque quant à lui une autre façon de rémunérer le personnel, en proposant des primes aux employés les plus investis, les plus méritants, pour les motiver à se donner toujours plus.
Elise Masurel, directrice générale de l'école Ducasse, évoque de son côté une meilleure formation des élèves au management, pour rendre ce système plus moderne et parfois moins militaire. "Au sein de l'école Ducasse, nous proposons un programme comprenant 100h de formation au management car nous ne formons pas simplement des cuisiniers, mais aussi parfois les entrepreneurs et managers de demain", rappelle-t-elle.
Les violences en cuisine minimisées voire niées
Après plus d'une demi-heure de débat, entre salaires, horaires et rappel de la passion du métier qui fait parfois accepter beaucoup (trop) de choses, deux voix s'élèvent dans le public, bientôt rejointes par trois, puis quatre, pour enfin évoquer le sujet des violences en cuisine, complètement oublié (évité?) par les interlocuteurs du jour. "Les violences en cuisine expliquent selon vous le manque cruel de personnel aujourd'hui ?", interroge Bernard Boutboul. "Bien sûr", répondent en choeur les jeunes femmes présentes, toutes issues du milieu de la restauration. Une affirmation qui a fait bondir le directeur de Gira Conseil : "Donc selon vous, il y a 200.000 tyrans en France aujourd'hui ?"
Ce n'est bien évidemment pas ce qu'ont sous-entendu ces jeunes femmes, épaulées par un restaurateur présent dans l'audience. Comment nier l'évidence, encore aujourd'hui, alors que de nombreux témoignages et dossiers ont émergé sur le sujet ? Qu'il s'agisse de violences physiques, verbales, de sexisme, de racisme, d'agressions sexuelles ou de viols, elles sont aujourd'hui connues de tous et ne peuvent être ignorées et peuvent expliquer, en partie, pourquoi les jeunes désertent de plus en plus les cuisines.
Depuis 2014, les témoignages pleuvent, généralement recueillies dans la haute gastronomie, et plusieurs noms de grands chefs étoilés ont même été dévoilés, sans que ces derniers ne soient vraiment inquiétés. Et contrairement à ce qu'a pu sous-entendre Bernard Boutboul en évoquant la "population plus fragile", ces thématiques ne touchent pas uniquement les femmes.
Des personnalités engagées
En 2019, Camille Aumont Carnel a créé le compte Instagram Je Dis Non Chef, qui publie de nombreux témoignages de victimes de violences en cuisine, avec le but de briser l'omerta. Avec l'aide de Nora Bouazzouni, auteure de Faiminisme : quand le sexisme passe à table, elle a également rédigé un long questionnaire pour interroger de façon anonyme les hommes et femmes, quel que soit leur âge, leur lieu ou leur poste de travail. Si vous souhaitez à votre tour témoigner, répondez au questionnaire juste ici. Si le sujet vous intéresse - on l'espère - vous pouvez également suivre Nora Bouazzouni, Bondir.e - une association qui s'engage à faire évoluer le milieu de la restauration - ou encore Culs de Poule, le média d'Alvina Ledru-Johansson pour une meilleure valorisation des femmes dans les métiers de bouche.
Si vous aimez les podcasts, nous vous conseillons également Bouffons, qui consacre tout un épisode aux violences en cuisine, Sur le grill d'Ecotable, ou encore Girls in Food, qui a entre autres interviewé Marion Goettlé, la pâtissière engagée du Café Mirabelle.
Ce débat a malheureusement prouvé une fois de plus que le chemin est encore long !
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