Quelques semaines après le début du confinement et la fermeture des restaurants en France, comme pour beaucoup d’établissements, l’équipe des Résistants a réorganisé son travail quotidien et s’est réinventée. Fidèle à son concept de soutien à l’agriculture paysanne, elle a lancé la vente de « Paniers de résistance ».
Depuis quelques semaines le restaurant, situé rue du Château d’Eau en plein cœur du dixième arrondissement de Paris, se transforme deux jours par semaine en petit marché éphemère, tout en respectant les consignes sanitaires et les gestes barrière anti-Covid. Dans les paniers, une sélection de fruits, légumes, fromages, vins et parfois même de la viande, tous produits par des « résistants », les producteurs avec qui l’équipe du restaurant travaille depuis le début de ce projet de cuisine engagée lancé en 2017. Au cœur du travail des Résistants et de l'Avant Poste il y a une démarche humaine extrêmement importante : ces deux restaurant sont une interface entre les citoyens et le monde agricole.
Florent Piard, le fondateur du projet, explique comment le travail des Résistants s’est transformé momentanément en ce moment de crise sanitaire, et exprime ses doutes concernant le futur incertain du monde de la restauration.
Comment avez-vous réagi à la nouvelle de la fermeture des restaurants ?
La semaine avant le début du confinement, nous avions déjà décidé de fermer nos établissements, puisque notre activité représentait des risques au niveau sanitaire, pour les clients et pour nos équipes. Donc nous n’avons pas pris la nouvelle de la fermeture des restaurants comme un choc, nous étions psychologiquement préparé. Le premier geste qu’on a fait, après avoir vidé nos frigos, a été de payer tous nos producteurs. On a assez vite compris qu’il fallait rapidement s’occuper de revoir tous les coûts, même avant que les mesures officielles soient mises en place. On a rapidement fait le point avec notre banque, on s’est rendu compte qu’heureusement on allait pouvoir maîtriser nos coûts. On a été bien sûr soulagés, mais c’est la que l’incertitude pour le futur a commencé à prendre pieds. L’après et beaucoup plus angoissant que le présent.
Comment a évolué le travail des Résistants et la relation avec les producteurs avec qui vous collaborez depuis longtemps ?
On a mis en place toute de suite une stratégie pour rester en contact avec tout le monde. Entre les Résistants et l’Avant Poste, nous sommes 23 et on se réunit par vidéo conférence plusieurs fois par semaine, pour discuter d’alimentation, d’agriculture, de recettes… afin de garder contact et s’inspirer les uns les autres. Dès que le confinement a été annoncé, nous avons commencé à contacter un par un les presque 300 producteurs et vignerons avec qui on travaille, pour évaluer leur situation et mieux comprendre leur métier. Cela nous a permis de faire une espèce de « radiographie de l’agriculture paysanne » et de comprendre ce qu’il se passe dans un moment de crise comme celle qu’on est en train de vivre. Et bien, la très bonne nouvelle est que 95 % des producteurs avec qui on travaille n’ont pas de difficulté majeure, au contraire ils ont une augmentation de la demande, puisqu’ils travaillent beaucoup en vente directe. Toutefois, il y en a quelques uns qui souffrent un peu plus, notamment les maraîchers. C’est pour les aider qu’on a mis en place ce système de vente de paniers à prix coûtant, pour qu’ils puissent garder leur chiffre d’affaire et survivre à la crise et qu’il y ait 0% de gaspillage dans les champs.
C’est ainsi que vous avez décidé de lancer les paniers de résistance. Comment sont-ils organisés ?
Vu qu’on ne peut rien faire pour « nous », on s’est dit : on va se tourner vers les autres ! Les paniers de résistance sont un grand succès, ils partent très rapidement toutes les semaines. Dès le premier panier, on s’est dit que peut être les gens voudraient aussi pouvoir "donner" les paniers à une association qui prépare des repas pour les personnes en difficulté : c’est ainsi qu'on a commencé à collaborer avec l’association Miaa, qui s’occupe depuis toujours d’aider les plus démunis.
En même temps, on propose des idées de recettes sur nos réseaux sociaux. Les clients qui récupèrent leur panier, découvrent parfois des légumes rares qu'ils ne savent pas comment cuisiner. On a donc commencé donner des conseils en ligne, plein de techniques anti gaspillage et de recettes, en partageant une partie de notre savoir faire culinaire, pour que les gens puissent apprendre à cuisiner autrement.
Plusieurs restaurateurs se sont lancés dans la vente à emporter et livraisons de repas à domicile. Envisagez-vous ces possibilités ?
Nous ne sommes pas contre la vente à emporter, on travaille à la mise en place d’un format de vente de repas en utilisant des contenants éco-responsables pour éviter de générer trop de déchets. On pourrait même considérer la possibilité d’envisager une sorte de service de traiteur. Si, après la réouverture des restaurants, on n’aura plus la possibilité d’être à plus qu’à deux à table, les gens qui auront envie de se réunir à plus autour d’une table devront donc le faire à la maison… d’où la possibilité de commander de la nourriture pour plusieurs personnes.
Pour ce qui est de la livraison, c’est hors de question pour nous à moins qu’on trouve un système où c’est nous mêmes qui livrons. On ne passerait pas par les plateformes de livraisons dont on ne partage pas le modèle économique et éthique. Mais à l’état actuel ce serait très compliqué.
Parlons de déconfinement. Seriez-vous d’accord avec une réouverture au mois de juin ?
Si en juin on sera au même point où l’on est aujourd’hui, ouvrir sera difficile. Si l’état et les assurances nous avaient soutenus, j’aurais préféré qu’on réouvre plus tard et dans des conditions moins tendues. Toutefois, économiquement les choses deviennent compliquées. En ce moment, l’état aide les TPE de moins de dix salariés, ce qui est très bien, mais cela ne nous concerne pas. En tant qu’indépendants, on n’a pas droit au fond de solidarité non plus. Tout cela fait que notre catégorie est souvent en difficulté. On continue à avoir un certain nombre de coûts, comme les loyers, qui sont le problème principal pour beaucoup de restaurateurs. Donc si la suspension d’activité sera prolongée, il faudrait que l’état trouve des solutions pour nous aider, sinon le redémarrage va devenir compliqué, voire impossible.
Comment imaginez-vous la reprise d’activité pour vos restos?
J’ai du mal à me projeter dans le monde de la restauration « d’après ». Malgré le déconfinement, l’épidémie sera encore en cours et les risques resteront. Il faudra respecter des règles d’hygiène très strictes, faites de masques, de gants et de distanciation sociale. Le restaurant étant un lieu de partage, j’ai du mal à imaginer comment il pourrait le rester avec toutes ces restrictions. Il faudra trouver un nouveau modèle économique. Mais aussi un nouveau modèle de service : nous serons capables de résister si nous pourrions compénser la baisse du nombre de tables par l'introduction d'un deuxième service. Il faudra probablement demander aux clients de quitter les tables plus rapidement, par exemple. Une chose est certaine : afin de « survivre » en tant que restaurants, on ne pourra rien faire sans les clients, ils devront aussi s’adapter et nous soutenir. La reprise est compliquée à imaginer comme on ne connaît pas les règles et limitations qu’on devra respecter. Le plus dur à gérer pour nous en ce moment, c’est l’incertitude.