Depuis plus de 40 ans, Reine Sammut est femme chef. Passionnée, elle est décorée d’une étoile au guide Michelin en 1995. Sa cuisine méditerranéenne est inspirée de la cuisine de sa belle-mère Claudette qui lui a appris le métier, et de ses voyages. L'année dernière, elle s'est lancée aux côtés de sa fille Nadia Sammut, atteinte de la maladie coeliaque, dans une cuisine gastronomique autour d'un menu sans gluten et accessible. L'Auberge la Fenière située à Loumarin dans le Lubéron est ainsi le premier restaurant étoilé sans gluten. Sur le même site, Nadia Sammut a ouvert son atelier de cuisine libre en plus de l'atelier de cuisine de sa mère. Rencontre avec une femme de coeur, authentique.
L'année dernière vous avez travaillé avec votre fille Nadia pour remplacer la gastronomie avec gluten par de la gastronomie sans gluten. Votre étoile a été maintenue. N'était-ce pas une prise de risque quand même ? Quand on fait de la cuisine, c'est par amour. Ma fille est née il y a 35 ans comme coeliaque. On s'en est rendu compte quand elle avait 10 mois. Depuis toute petite, je lui ai toujours préparé des menus sans gluten. Mais ce qui lui manquait, c'était de partager le même menu que les autres. Il y 3/4 ans, elle est revenue avec un projet : un centre de formation pour les allergiques et les médecins. On avait commencé il y a deux ans à proposer des plats sans gluten à la fois au restaurant et dans notre côté bistro. L'année dernière on s'est complètement lancé. Et franchement, l'étoile, j'y ai pensé cette année au moment du Michelin. En gastronomie, quand on apporte du pain à la farine de châtaigne, c'est une expérience culinaire. En bistronomie, les gens demandent s'ils peuvent avoir du pain normal !
Proposer une cuisine gastronomique sans gluten est une démarche très innovante. Comment vos clients habituels ont-ils réagi ? Avez-vous constaté un changement dans votre clientèle ? De façon générale, les clients se montrent très intéressés. Notre cuisine n'est pas réservée aux personnes qui ne peuvent pas manger de gluten. Elle est pour tout le monde, sauf qu'elle est sans gluten. Pour beaucoup de plats comme les plats de poisson ou de légumes, rien n'a changé. Les fonds de sauce avec de la farine, c'était il y a 50 ans ! L'année dernière a été une année de transmission. Les clients ont accueilli la rouverture de la partie gastro avec enthousiasme. Les clients qui venaient continuent à venir. Les gens aiment les histoires. Ils ont besoin de retrouver leurs repères. Nos clients historiques reviennent donc avec plaisir, surtout que tout le monde a quelqu'un sans gluten autour de soi. Ca entraîne des tables plaisir car tout le monde partage le même repas.
Cuisiner sans gluten, c'est remplacer des ingrédients qui n'en contiennent pas ou c'est un peu plus compliqué que cela ? La différence de cuisiner sans gluten est surtout dans le pain, les pâtes et la pâtisserie. Il faut réapprendre, changer les ingrédients et utiliser d'autres techniques. Ici, on a karchérisé la farine de gluten car tout doit être tracé sans gluten. Il ne s'agit donc pas seulement de remplacer des ingrédients. On soit tester les recettes. Par exemple, on a travaillé une année et demie avant de trouver la bonne recette pour le pain à la farine de châtaigne. On y travaillait et on revenait dessus la semaine suivante. Cuisiner sans gluten, c'est un peu comme travailler dans un laboratoire de chimie. Ce qu'on aime nous les cuisiniers, ce sont les challenges.
Reine et Nadia Sammut (crédit : Benjamin Béchet)
Quelle est la recette qui a été la plus compliquée à réélaborarer ? En avez-vous créées ex nihilo ? Dans notre cuisine nous n'utilisons pas de gluten, mais pas de beurre non plus car souvent les intolérants au gluten ne tolèrent pas non plus le lactose. Certaines recettes de pâtisserie sont donc très difficiles à adapter. Autant faire une pâte à chou ça va, mais une pâte feuilletée ! Impossible de la faire gonfler. On a fait de très nombreux essais avec des beurres végétaux. Nadia a donc inventé le Paris-Loumarin, une sorte de Paris-Brest sans gluten et sans beurre. Comme on ne sent pas l'effet de lourdeur, quand on en a mangé un, on est prêt à recommencer !
Pourriez-vous nous donner des exemples d'ingrédients de substitution ? Lequel préférez-vous travailler ? Nous utilisons par exemple de la farine de pois chiche, de riz ou de châtaigne. Les produits ne doivent pas seulement être sans gluten. Ils doivent être certifiés. La farine de riz est moulue en Camargue et bientôt on va installer ici notre propre moulin notamment pour produire de la farine de pois chiches.
Vous êtes installée dans le Lubéron. Une région exceptionnelle où la nature propose des produits d'exception. Est-il possible d'associer une cuisine locale et une cuisine sans gluten ? On vit dans une terre bénie des Dieux où il y a beaucoup de céréales. On recourt facilement à des producteurs locaux comme par exemple pour la farine de pois chiches ou la fécule de pommes de terre. Mais nous faisons aussi venir des produits d'Afrique comme le manioc par exemple.
Votre restaurant est une affaire de famille. Que représente pour vous de travailler avec votre fille ? J'aimerais que ma fille devienne chef d'entreprise et moi chef de cuisine. La différence pour moi dans cette relation employeur-employé c'est qu'il y a une relation d'amour !
En proposant une gastronomie sans gluten vous êtes on ne peut plus dans l'air du temps. Quelles sont, selon vous, les tendances culinaires du moment ? La vraie tendance selon moi est de revenir vers des plats qui ont une histoire. On revient aux produits vivants, bios qui poussent juste à côté de chez nous et qui peuvent-être tracés. En quarante de cuisine, je n'ai jamais suivi les modes comme celle par exemple de la nouvelle cuisine ou de la cuisine japonisante. Si je veux manger japonais, je préfère manger au Japon ! J'aime faire ce que je sais faire. J'aime que ici les gens sentent la Provence quand ils ferment les yeux.