Les choses ont plutôt mal commencé avec une panne de courant et ont fini sur un lit de roses comestibles. Les #50BestTalks de Barcelone, sponsorisés par S.Pellegrino, ont réuni cinq des plus grands chefs du monde, tous anciens vainqueurs du World's 50 Best Restaurants, et ont été un ascenseur émotionnel. Mais si la panne de courant survenue durant le speech d'ouverture de Massimo Bottura n'a pas cassé l'énergie de la salle, alors rien ne le pouvait.
Le thème de cette réunion était Food Forward : Visions of Gastronomy et l'événement, qui s'est tenu lors d'une après-midi étouffante à Barcelone, avait des airs de cérémonie de passation envers les futures générations de chefs mais aussi envers les nouveaux venus dans le cercle comme Daniel Humm et Will Guidara, vainqueurs du World's 50 Best Restaurants 2017. Tous sont repartis avec une profonde compréhension, si ce n'était pas déjà le cas, des responsabilités qu'impliquent le titre de meilleur restaurant du monde, et pas seulement envers leurs employés ou leurs clients, mais aussi envers les futures générations.
L'atmosphère est également devenue morose lorsque le décès de la légende d'Alain Senderens, l'une des stars de la nouvelle cuisine française, a été annoncé. Mais cette réunion avait pour but d'aller de l'avant, de regarder vers le futur et d'intégrer de meilleures connaissances, de meilleures valeurs et de sauver la planète à travers la nourriture de demain.
Massimo Bottura : la révolution de la pomme de terre
Massimo Bottura a lancé le débat avec une série de punchlines énoncées avec une vive énergie. Le chef a débuté par une anecdote sur les pommes de terre de Bologne, et dieu qu'il nous a fait croire en ce tubercule ! Selon lui, dans le futur, "les chefs en sauront plus sur la terre et l'agriculture et donc sur le goût" - et certaines universités seront même dédiées à cela. Mais où étaient les fermiers en ce jour, a-t-il demandé ?

En évoquant son projet Food for Soul, le chef a souhaité parler des "héros", ces volontaires qui l'ont aidé à réaliser son initiative de nourrir les plus pauvres et lutter contre le gaspillage alimentaire. "Nous sommes en pleine révolution", a-t-il affirmé tout en revenant sur son analogie de la pomme de terre : "Nous ne pouvons pas tous êtres des truffes, la plupart d'entre nous sommes sont des pommes de terre. Mais c'est bien d'être une pomme de terre", a-t-il ajouté, car nous avons tous un rôle à jouer.
Ferran Adrià : l'héritage de la connaissance
Ferran Adrià voit elBulli comme l'héritage d'une connaissance culinaire pour les générations futures. "ElBulli a changé notre façon de voir la gastronomie... nous sommes tous elBulli", a-t-il affirmé s'adressant aux chefs à sa gauche et à l'ensemble de la salle. Mais "il n'y a pas un seul livre qui explique les techniques culinaires correctement", a-t-il ajouté, révélant son projet actuel avec la fondation elBulli de rédiger un livre de 500 pages sur le sujet. La prochaine génération de cuisiniers surpassera les exploits réalisés par les chefs actuel, a-t-il assuré.
Le chef a également évoqué les profonds changements qui ont eu lieu depuis le tout premier World's 50 Best comme l'impact d'internet et des réseaux sociaux. Selon lui, ces évolutions font progresser la parité hommes-femmes dans les cuisines et dans les 10 à 15 prochaines années, il y aura de plus en plus de femmes chefs.

Daniel Humm et Will Guidara : retour aux bases
Les vainqueurs du World's 50 Best Restaurants pour le Eleven Madison Park étaient d'humeur songeuse juste après avoir signé un nouveau bail de 20 ans pour leur établissement new yorkais. Daniel Humm a expliqué comment lui et son acolyte apprenaient de leurs propres erreurs, mais aussi de celles des autres en revenant aux bases de la cuisine et en plaçant l'expérience du client au coeur de tout ce qu'ils réalisaient. "Le goût est la chose la plus importante en cuisine", a réagit Daniel Humm. "Si vous ne donnez pas tout pour que votre nourriture soit délicieuse, alors devenez peintre!"
C'est alors que le Suisse a demandé à la salle la définition d'un restaurant gastronomique. Pour lui et Will Guidara, il s'agit d'un endroit magique, joyeux et non un lieu de révérence. "La gastronomie, c'est une conversation."
Joan Roca : Cuisiner c'est faire attention aux autres
Le restaurant triplement étoilé El Celler de Can Roca, à Girone, est le travail de trois frères et c'est justement cet esprit de famille qui devrait primer pour les futures générations selon le plus âgé des frères Roca, Joan. D'après lui, prendre soin de son équipe est primordial. "Cuisiner, c'est faire attention aux autres" mais "humaniser la gastronomie" est un défi ambitieux. Notons d'ailleurs que le restaurant de Girone emploie depuis le début de l'année son propre psychologue.
"Nous devons faire en sorte que la prochaine génération se sente bien, qu'ils ne sacrifient pas leur vie." La gastronomie change, "des produits aux techniques en passant par les gens et leur ouverture d'esprit", a continué le double vainqueur du World's 50 Best, avant de noter la responsabilité que donne le fait d'être numéro 1 de la liste, tout comme Humm et Guidara.

René Redzepi : chercher de la nourriture pour notre futur
René Redzepi devient terriblement sérieux au moment de parler du foraging (chercher de la nourriture), une technique qui, selon lui, l'a aidé à s'intégrer quand il a débarqué au Danemark en tant qu'immigrant de Macédoine. Le chef et son équipe viennent d'ailleurs de lancer une application de foraging faisant partie du projet Vild Mad (Wild Food), une initiative qui entend enseigner aux enfants les fondamentaux du foraging à travers la technologie.
René Redzepi est d'ailleurs persuadé que cette discipline sera bientôt aussi importante que les mathématiques. "Pourquoi gaspillons-nous ?", a-t-il demandé. "Nous gaspillons les choses qui pour nous n'ont pas de valeur." Et pendant que le chef terminait son speech, des sacs remplis de roses comestibles ont été distribués dans la salle. Une jolie métaphore pour montrer que le futur est beau mais fragile.
Crédits photos : World's 50 Best