Depuis le 25 septembre, la ville de Nantes accueille une exposition bien particulière, Disgusting Food Museum, qui illustre la dimension culturelle de l'alimentation et notre propension à la faire évoluer.
Au fil de cette présentation, les visiteurs peuvent découvrir, sentir et même goûter 80 des aliments connus comme étant les plus dégoûtants au monde. L'idée ? Faire évoluer les mentalités pour que les visiteurs comprennent que la notion de ce qui est bon et ce qui est repoussant est très subjective et essentiellement conditionnée par notre culture. "Certains personnes vont raffoler des araignées quand d'autres auront envie de vomir rien que d'y penser", souligne d'ailleurs Samuel West, fondateur de l'exposition.
Ici, pas question de présenter des aliments farfelus comme la glace au bacon mais des produits faisant partie intégrante du quotidien alimentaire de certains pays ou ayant une signification historique.
Fine Dining Lovers a eu la chance de discuter avec Samuel West, directeur de cette exposition qui a vu le jour pour la première fois à Malmö en Suède, et que vous pouvez découvrir jusqu'au 3 novembre à Nantes.
Comment vous est venue l'idée de créer une telle exposition ? Quand j'ai créé le Museum of Failure (Musée de l'échec), j'ai été surpris de constater l'impact que cela a pu avoir. Si une simple exposition pouvait changer l'attitude des gens face à l'échec, qu'est-ce qu'une expo pouvait changer d'autre ? Est-ce qu'une exposition peut initier des changements profonds ? Notre production acutelle de viande est terrible pour l'environnement et nous devons réfléchir très vite à des alternatives. Mais beaucoup de gens sont dégoûtés à l'idée de manger des insectes et sceptiques quant à la création de viande en laboratoire. Si nous pouvons changer la notion de ce qui est dégoûtant et ce qui ne l'est pas, cela pourrait nous aider à engager une transition vers des sources de protéines plus durables.
Comment avez-vous découvert tous ces aliments ? Avez-vous voyagé à travers le monde pour dénicher la nourriture la plus étrange possible ? Je me suis réuni avec mes amis et mon partenaire Andreas pour développer et affiner le concept. Les recherches ont été larges et nous avons impliqué l'Université de Lund (Suède) dans notre travail. Sourcer les aliments étranges a été... et est toujours un défi énorme. Certains aliments ne sont répertoriés nullepart sur internet et nous avons fait appel à nos amis installés à l'étranger pour nous les envoyer.
Pourriez-vous nous donner quelques exemples d'aliments repoussants présentés dans cette exposition ? KOPI LUWAK (Indonésie) : il s'agit du café le plus cher du monde, jusqu'à 3.000€ par kilo. Dans la nature, des petits animaux appelés civettes palmistes hermaprodites mangent les grains de café mûrs. On récolte ensuite les grains partiellement digérés dans leurs excréments. Les enzymes digestifs de l'animal confèrent au café un goût et un arôme exquis. Cependant, pour la production industrielle, ces animaux sont élevés dans des conditions abominables et gavés et grains de café. Ce produit n'est autre que de la souffrance liquide et n'a en réalité pas meilleur goût qu'un autre café.
SURSTRÖMMING (Suède) : il s'agit de l'un des aliments qui sent le plus mauvais au monde, loin devant certains poissons fermentés comme le Kusaya au Japon. Le hareng de la Mer Baltique est fermenté dans la saumure pendant six mois, et continue de fermenter ensuite dans la conserve. On mange cette spécialité suédoise sur du pain sans levain, des pommes de terre et des oignons. A cause de son odeur fétide, le surströmming est généralement consommé à l'extérieur.

Natto
NATTO (Japon) : On trouve la bactérie Bacillus subtilis sur le sol et dans l'appareil intestinal des humains et autres animaux herbivores. Le Nattō est un germe de soja fermenté à l'aide de cette bactérie. Il est très populaire au petit-déjeuner. Ces haricots collants sont mélangés avec des baguettes pour créer des fils gluants. Le Nattō présente une odeur entre le vieux fromage, la chaussette sale et la poubelle chaude, mais a la réputation d'être un superfood grâce à ses probiotiques.
Quelles recettes les visiteurs peuvent-ils goûter ? Certaines recettes ont-elle été adaptées au goût du public local ? Nous avons dix "arrêts" où les visiteurs peuvent sentir des aliments très odorants. Ensuite, quand le Tasting Bar est ouvert (les horaires sont à consulter sur le site), les visiteurs peuvent goûter entre 8 et 10 aliments et boissons différents présentés dans l'exposition. Il est par exemple possible de manger du Natto, du requin pourri d'Islande, du vieux fromage danois, un oeuf de cent ans chinois, une liqueur très salée. Nous n'ajustons pas les goûts pour la France, car généralement les Français sont assez aventureux et friands de tester de nouvelles choses.
Comment le public suédois a-t-il réagi face à ces découvertes ? Le public suédois a tellement aimé le musée que nous avons maintenant une exposition permanente à Malmö, dans le sud de la Suède. Les visiteurs ont aimé la nature provocatrice de ce musée. Il ne s'agit pas seulement d'une collection d'aliments inhabituels. Il y a un message intellectuel clair derrière tout cela, qui invite les visiteurs à se questionner sur ce qui est dégoûtant et ce qui est délicieux. Et quand les Suédois ont découvert leurs aliments favoris aux côtés de quelque chose qu'ils trouvaient a priori repoussant, ils ont commencé à comprendre que leur goût est essentiellement culturel.

Kopi Luwak
Pensez-vous que le public français réagira différemment ? J'ai confiance en le public français et le fait que les visiteurs apprécieront les éléments intellectuels et émotionnels de l'exposition. Je pense que les Français ne trouveront pas les fromages puants particulièrement dégoûtants. Je suis d'ailleurs curieux de savoir comment ils réagiront en découvrant certains classiques de la cuisine française dans l'exposition.
Quand ? Disgusting Food Museum, du 25 septembre au 3 novembre 2019. Où ? Hangar à Bananes, 21 quai des Antilles, Nantes.
Crédit photo : Anja Barte Telin