A Paris, la communauté food ne parle plus que de cela. L’ouverture imminente du Manko-Paris, le premier restaurant en France du grand chef péruvien Gastòn Acurio. Mais le lieu qui accueillera une centaine de couverts sera bien plus qu’un endroit où se régaler. Il sera attenant à un cabaret de 250 places. Le projet, né de la rencontre entre le chef, Benjamin Patou à l’origine du Moma Group spécialisé dans l’événementiel, et l’artiste Garou qui sera en charge de la programmation artistique - est la promesse de soirées fantasmagoriques.
Gastòn Acurio qui faisait partie en 2015 du comité des Sept Sages de la première édition du S.Pellegrino Young Chef a accepté de se prêter au jeu des questions réponses, peu avant l'ouverture de son restaurant avenue Montaigne à Paris.
Avec plus de 45 restaurants dans le monde, vous êtes considéré comme le porte-parole de la cuisine péruvienne. Vous êtes sur le point d’ouvrir votre premier restaurant à Paris. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? J’ai toujours rêvé d’ouvrir un lieu de représentation de la cuisine péruvienne à Paris où j’ai été formé comme chef. Je rêvais de partager ma culture avec cette ville qui m’a beaucoup apporté en termes de savoirs et qui m’a accueilli avec soin et générosité pendant de nombreuses années. Je n’avais pas encore trouvé le bon associé. Le temps m’a démontré que j’avais eu raison. C’est chose faite avec le Moma Group en la personne de Benjamin Patou, dans un endroit en plus complètement fou.
Ce nouveau restaurant sera situé avenue Montaigne, en dessous même du Théâtre des Champs-Élysées qui hébergeait autrefois la salle des ventes Drouot Montaigne. Il porte le nom magique de Manko, en hommage au dieu soleil inca. Vous y proposerez une carte très décontractée. Pouvez-vous nous expliquer ces choix ? Manko est le nom du premier empereur inca. C'est une reconnaissance à notre héritage. Quant à l’avenue Montaigne, c’est une des avenues les plus sophistiquées au monde. Mais aujourd’hui, quand on parle d’approche sophistiquée en matière de cuisine, c’est autre chose d’il y a quelques années. Désormais, il ne s’agit plus de quelque chose de cher, ou de réservé à quelques privilégiés. Avec le monde de l’information, le luxe devient décontracté, une expérience divertissante où chacun peut s’adonner aux plaisirs de la bonne chair avec excellence, authenticité, créativité, mais surtout avec une véritable valeur ajoutée à ce que l’on déguste.
Pouvez-vous nous présenter quelques un des plats que vous proposerez ? Les recettes originelles seront-elles adaptées au goût français ? Plus que jamais, il est important de respecter l’originalité et l’authenticité des goûts de la culture que l’on représente. Autrement dit, on ne peut pas changer les saveurs du Pérou. Nous nous devons de les faire découvrir telles quelles. Les épices, les piments, les herbes…Toutes les saveurs des Andes et de l’Amazone en bouche. Nous servirons des Ceviche, des anticuchos qui sont des petites brochettes péruviennes cuites au barbecue, mais aussi des plats préparés au wok, de la slow cuisine, des plats style street food et des tas d’autres plats que l’on trouve là-bas. Un peu comme des tapas péruviens.
Qu’avez vous ressenti et pensé au sujet des événements de Paris du 13 novembre ? La cuisine, c’est du partage, du respect, de la gratitude. La cuisine exprime ce que nous avons de meilleur en nous. C’est une chance de pouvoir construire partout dans le monde une fraternité entre nos différentes cultures culinaires dans une logique de tolérance et de paix, tout en célébrant nos différences plutôt que de les opposer. En ce sens, les chefs constituent une armée de paix dans le monde entier. Désormais, partout dans le monde, toutes les communautés food, les chefs, les producteurs, les consommateurs, tout ce monde est connecté autour d’un geste quotidien, celui de cuisiner. Nous sommes tous proches émotionnellement. Et notre plus bel espoir, c’est que les pays nous suivent. La France est dans nos cœurs et dans nos pensées chaque jour.
La cuisine péruvienne est mondialement reconnue pour la grande biodiversité de ses ingrédients. Quels sont ceux que vous utilisez le plus et pour quels types de plat ? Au Pérou, on appelle chiles (petits piments NLDR), les aji. Les aji sont au cœur de la cuisine péruvienne à la fois pour leur goût, mais aussi pour leur couleur. Aji amarillo, aji panca, aji mirasol, aji limo, aji rocoto, etc. Avec ce seul ingrédient, on élabore tous les parfums de notre cuisine. Mais aussi le maïs, le quinoa et les pommes de terre dont nous en avons des centaines de variétés que nous utilisons quotidiennement.

Vous êtes très actif dans la promotion des terroirs et de la cuisine péruvienne : quels sont vos projets à venir dans ce domaine ? Je suis impliqué dans un secteur en mouvement, où l’on sait qu’il est désormais possible de construire un monde meilleur à partir des habitudes alimentaires et de gagner des batailles qui menacent l’humanité comme le gaspillage alimentaire, la smart-agriculture, la sauvegarde de certaines espèces dans les océans, la faim pour deux cent mille millions de personnes ou encore la pression sur l’environnement à cause de la demande en protéines végétales. Dans la mesure où chacun cuisine tous les jours pour manger, les chefs et l’ensemble du secteur de la gastronomie en général sont en mesure d’influencer et de convaincre de manger de façon savoureuse, créative, variée, locale et responsable. Il y a un mot en français pour cela : l’équilibre. Autrement dit cuisiner chaque jour en faisant le bon choix de l’équilibre. Il y a de quoi manger pour tout le monde et il est possible de bien manger partout dans le monde que l’on soit vegan, végétarien ou omnivore, dès lors qu’on le fait avec le respect. C’est aux chefs du monde entier de diffuser ce message. En célébrant la diversité, la biodiversité et la diversité culturelle, nous pouvons diffuser aussi ce message de paix entre les êtres humains. Mon rêve serait en fait une sorte de Woodstock, où les chefs de tous les pays et de tous les genres célébreraient avec les agriculteurs, les artisans, partout dans le monde cette cuisine du respect, tandis que les politiciens, les scientifiques et les autorités discuteraient comment faire de la nourriture une arme au service de leurs politiques. S’il existe bien un pays qui célèbre la diversité biologique et la diversité culturelle de tout un pays en célébrant la nourriture comme vecteur de paix et d’espoir, c’est bien le Pérou. Espérons que nous ferons bientôt ce festival.
Quelle est la chose la plus importante que vous ayez appris au cours de votre longue et riche expérience gastronomique ? Paris, j’ai appris les valeurs de l'excellence, la créativité, le respect du produit et de la profession, la cohérence, la beauté et le professionnalisme. Au Pérou, j’ai appris beaucoup sur ma culture, sur le pouvoir de la nourriture à changer des vies, à tisser des liens entre des personnes d’un même pays et à promouvoir son propre pays dans le monde. Pour promouvoir sa propre culture, il faut être fier de ses racines. La vie m’a appris que les chefs ne sont pas la cerise sur le gâteau. Mais que nous sommes porteurs de choses positives, un pont vers le bonheur pour les autres. Nous sommes protagonistes de l’histoire avec d’autres acteurs, qui eux attendent encore d’être reconnus. Nous au moins c’est le cas. Nous, les chefs, de part notre position d'influence, nous représentons l’espoir pour les agriculteurs, les pêcheurs et tous ces gens extraordinaires qui donnent leur vie pour produire tous les produits de l’Amazone qui nous rendent plus heureux.
Quoi ? Manko-ParisOù ? 15 avenue Montaigne, Paris 8ème.Web