L’idée qu'un goût primaire, tellement évasif sur le palais qu'il a fallu attendre l'année 1908 pour le « découvrir » et 80 ans de plus pour que le symposium scientifique international le reconnaisse, est étrange.
Pendant des siècles, ce qu’on a appelé « cinquième goût »rôdait, ineffable, parmi les autres goûts indentifiables que sont le sucré, le salé, l'amer et l'acide. C'est finalement un professeur de chimie japonais de l'Université Impériale de Tokyo qui l'a identifié.
Kikunae Ikeda s'est penché sur la question en goûtant un bouillon dashi dont le goût ne correspondait pas aux quatre saveurs déjà identifiées. Il voulait savoir comment le tofu normalement assez fade que sa femme lui avait donné à manger pour le dîner était tout d'un coup beaucoup plus savoureux par le simple ajout d'un dashi.
Il a finalement réalisé que ce goût venait du kombu, l'un des ingrédients les plus populaires de la cuisine japonaise utilisé pour le dashi depuis des millénaires. Il l'a appelé umami. Il s'agit d'un terme aujourd'hui utilisé pour les plats typiquement japonais.
Synthèse de deux mots signifiant « délicieux » et « goût », l'umami est une saveur avec ses propres règles, mais sa véritable valeur ajoutée est de faire ressortir le goût des autres aliments qu'il accompagne.
Il présente un effet synergique : lorsque deux sources d'umami sont combinés, la saveur umami est stimulée, offrant un résultat bien meilleur que la somme de différents ingrédients.
En ce sens, l'umami défie toutes les explications rationnelles. Comment quelque chose qui, tout seul, est presque sans goût, apporte autant de magie aux autres ingrédients ?
Le concept est difficile à comprendre pour les esprits occidentaux, mais assez naturel pour les Japonais, influencés par le taoïsme chinois, le confucianisme et le bouddhisme. L'umami est le goût zen.
Même les tentatives de traduction du mot umami dans les langues occidentales sont peu probantes. Kikunae Ikeda a finalement découvert que le glutamate, un acide aminé, présent dans le kombu, était responsable de l'umami.
Juste après avoir identifié l'un des éléments les plus magiques de la cuisine japonaise, Ikeda a tenté de le reproduire de façon synthétique.
En 1909, la compagnie Ajinomoto a commencé à produire de l'umami artificiel en masse sous la forme de Monosodium Glutamate (MSG). Une part de l'héritage d'Ikeda est d'avoir développé une manière d'ajouter de la saveur artificielle à la nourriture fast-food sans goût tel que les chips. Mais il a également découvert un véritable élixir.
Quelques années après la découverte d'Ikeda, on a également compris qu'un autre élément du dashi, les flocons de bonite, contribuait au goût umami sous forme d'inosinate.
Le dashi, pourvoyeur d'umami dans presque toute la cuisine japonaise, est fait légèrement différemment des traditionnels bouillons occidentaux.
Le dashi ne résulte pas d’ingrédients tels que la viande, le poisson ou les légumes qui ont bouilli pendant une longue période pour en faire ressortir les saveurs. C’est une macération dans de l’eau pendant de courtes périodes d'ingrédients soigneusement préparés.
Le processus est très simple : le kombu séché est plongé dans l'eau, à laquelle on ajoute des flocons de bonite. L'eau est ensuite filtrée pour récupérer le goût du dashi.
C'est un liquide presque sans goût, mais ajouté à d'autres ingrédients, il devient magique.
Comment reconnaître l’umami ?
Il convient de noter que le goût umami peut être subtil et parfois difficile à distinguer d'autres goûts, en particulier du goût salé. Toutefois, avec de l'entraînement et une exposition à des aliments riches en umami, vous pourrez mieux reconnaître ce profil de saveur.
« Lorsque vous choisissez une combinaison classique de la cuisine occidentale, comme la tomate et le parmesan, vous faites en quelque sorte le choix de l'umami, même si vous ne le réalisez pas vraiment, » assure Heston Blumenthal du restaurant étoilé The Fat Duck. « Malgré tout, l'umami reste quelque chose qu'on ne connaît pas vraiment en Occident. »
Heston Blumenthal aime utiliser les ingrédients japonais pour obtenir ce qu'il appelle la « touche » umami chez The Fat Duck. « J'ajoute souvent du kombu, qui peut apporter une toute autre saveur à l'ensemble du plat sans être clairement identifié en tant que tel. »
Il a été prouvé que la présence d'umami palie le manque de sel, et peut engendrer une sensation de satiété et de bien-être qui pourrait contribuer à la lutte contre l'obésité.
La science a déjà apporté de nombreuses réponses autour de l'umami : il ne se dépose pas seulement sur les papilles mais aussi sur l'estomac. Le nerf vague dans l'estomac réagit complètement au glutamate et envoie des signaux au cerveau pour commencer le processus de digestion.
Ce sont les acides aminés - bloc essentiel des protéines complexes - que l'on sent dans l'umami. Le premier goût umami que nous expérimentons dans notre vie vient d'ailleurs du lait maternel.
Quels aliments ont un goût umami ?
On trouve l’umami généralement dans les aliments riches en protéines, tels que la viande, le poisson et le fromage. Il est aussi présent dans les aliments fermentés ou vieillis, comme la sauce soja, le miso et les fromages vieillis. Les différentes variétés de champignons et la tomate sont aussi des sources d’umami.
L'umami a beau être typiquement japonais, on le retrouve également dans d'autres cuisines du monde. Le parmesan, les tomates cuisinées (et donc le Ketchup) ou même la choucroute en sont des exemples.
Les Romains antiques avaient également créé des condiments savoureux appelés le garum et le liquamen à partir de poisson fermenté, qui était indubitablement concentrés en umami.
Comment utiliser l’umami ?
Il est possible d’ajouter de l'umami aux aliments pour en rehausser le goût :
Utilisez des ingrédients riches en umami, tels que les champignons, la sauce soja, les tomates ou les fromages affinés, dans vos plats. Vous pouvez aussi utiliser des assaisonnements umami à vos aliments, comme le MSG. Pensez aussi à intégrer des aliments fermentés dans vos plats, tels que le miso ou le kimchi. Enfin, faire rôtir les aliments fait ressortir leurs saveurs umami naturelles.