Un cadre post-industriel, de la peinture écaillée sur les murs, des tables en bois alignées... Taku Sekine, chef du restaurant Dersou, aime visiblement jouer sur les contrastes. Dans ce décor brut et sans fioritures, le cuisinier japonais tient pourtant la « meilleure table » de France selon le guide Fooding, et un concept novateur. Ici, le vin laisse place aux cocktails raffinés, servis en accompagnement de plats élégants et emplis de saveurs asiatiques.
Taku Sekine a accepté de nous en dire un peu plus sur le Dersou, sa cuisine hors-du-commun et ses projets futurs.
La spécialité du Dersou est de proposer des accords mets/cocktails, préparés par votre associé Amaury Guyot. Qui adapte ses créations à celles de l'autre ? Vous ou lui ? C'est plutôt Amaury qui s'adapte, car même s'il a beaucoup de travail pour préparer les sirops, il a moins de contraintes au niveau de la conservation de l'alcool. Il peut avoir des dizaines de bouteilles différentes et rien ne se perdra. Moi, je ne travaille que des produits frais alors je suis moins flexible.
Justement, comment choisissez-vous vos matières premières ? Je ne travaille qu'avec des professionnels qui font les choses correctement. Par exemple, je ne vais à Rungis que pour le gingembre et la citronnelle. Pour le reste, je suis en contact direct avec les maraîchers, les pêcheurs, les bouchers, car je veux les produits les plus frais possibles. C'est beaucoup de travail parce qu'au total, je collabore avec près de 25 fournisseurs que j'ai quotidiennement au téléphone.
Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement de votre carte ? Nous proposons trois menus le soir : un composé de 5 plats et 5 cocktails, un autre avec 6 plats et 6 cocktails et un dernier avec 7 plats et 7 cocktails. En revanche, les clients ne peuvent pas choisir ce qu'ils vont manger. C'est un menu unique qui mélange les produits du jour, ma façon de cuisiner, les goûts que j'aime (comme la recette de bouillon beurre noisette)... Le soir, on fait environ une quarantaine de couverts donc le nombre de plats est déjà énorme et on ne peut pas se permettre de proposer des plats à la carte au niveau des préparations.
Le samedi et le dimanche midi, c'est différent. On propose des plats à la carte. C'est plus une cantine, mais avec les mêmes produits de qualité que le soir.
Comment les gens ont-ils accueilli votre concept d'accord mets/cocktails ? Au début c'était la clientèle déjà amatrice de cocktails qui venait. La clientèle plus classique avait du mal à comprendre pourquoi on ne proposait pas de vin et on s'est fait pas mal critiqué. Mais avec Amaury on a persévéré car on tenait vraiment à notre concept de départ.
La récompense du Fooding, qui a sacré le Dersou « Meilleure table » de l'année, a-t-elle aidé en ce sens ? On remplissait déjà le restaurant avant la consécration du Fooding mais effectivement, on accueille aujourd'hui une clientèle nouvelle, qui pensait que les cocktails n'étaient qu'une tendance venue de New York et de Londres, et qui se rend compte aujourd'hui qu'il y a une vraie recherche. Grâce au Fooding, on a réussi à gagner la confiance des gens qui n'auraient pas forcément mis les pieds ici avant.
Votre cuisine est-elle influencée par votre pays d'origine, le Japon ? Oui et non. Je pense que même si j'étais Américain, je ferais quand même de la cuisine aux influences asiatiques car ce sont des saveurs qui me plaisent. A titre personnel, je ne mange qu'asiatique le midi, je suis vraiment accro ! Le matin, je me réveille et je pense à ce que je vais manger le midi.
Vous avez fait le choix de cuisiner devant vos clients, dans une cuisine ouverte. Pourquoi ? Déjà, je voulais au moins avoir une grande fenêtre dans la cuisine car les chefs sont sonvent enfermés toute la journée entre quatre murs et ne voient même pas quel temps il fait dehors. Ensuite avec Amaury on s'est dit qu'on voulait le bar et la cuisine au même endroit, pour pouvoir accorder le timing des préparations des plats et des cocktails. Au final, la cuisine ouverte est apparue comme la meilleure solution.
Du coup, les clients peuvent parler avec vous pendant le service. Ce n'est pas trop perturbant ? On a l'habitude. Il y a des gens qui parlent beaucoup mais quand on est dans le jus, les clients s'en rendent compte et ne nous dérangent pas.
Vous avez travaillé auprès de grands noms de la cuisine comme Alain Ducasse et Hélène Darroze. Que retenez-vous de ces expériences ? Chez Hélène Darroze, j'ai appris la valeur du produit. C'est une femme qui ne fait pas de concession sur la qualité. Elle a aussi des techniques de cuisine magnifiques, comme sa façon de cuisiner le foie gras. J'ai d'ailleurs gardé sa méthode ici au Dersou. J'ai aussi travaillé 4 ans et demi chez Alain Ducasse où j'ai découvert des plats vraiment très bons, même si je n'étais pas toujours d'accord avec sa logique de cuisine.
Disons que mes gestes en cuisine sont certainement influencés par ces expériences, mais je ne saurais pas dire lesquels exactement. Aujourd'hui, j'ai l'impression de faire les choses vraiment naturellement.
Naturellement et pourtant, vous avez débuté la cuisine assez tard, à 23 ans. Comment l'envie est-elle venue ? A l'époque j'étais étudiant à l'université d'économie politique, mais en parallèle je travaillais dans un restaurant italien à temps partiel et j'ai trouvé ça très sympa. Après je suis parti étudier l'italien à Sienne et le soir, comme je m'ennuyais un peu, je prenais des cours de cuisine... Il n'y a pas vraiment eu d'élément déclencheur, ça c'est fait au fur et à mesure.
Avez-vous des projets en cours ou à venir ? Je vais participer au festival culinaire du Fooding, Foodstock, le 20 mai prochain. Je serai également présent au Bistronomie Club, un événement de Street Food sur Paris, de juin à septembre. A côté de ça, je prépare un livre sur la cuisine asiatique. Enfin, l'année prochaine, je vais ouvrir un bistrot à Paris. Je ne sais pas encore avec qui je vais travailler mais je sais que je vais le faire.
Où ? Dersou, 21 rue Saint-Nicolas, 12e arrondissement de Paris. Web