Yannick Alléno, chef triplement étoilé du Pavillon Ledoyen, sera le mentor du futur finaliste français du S.Pellegrino Young Chef 2016. A moins de deux semaines de la clôture des inscriptions, il revient pour nous sur son rôle de jury lors de la dernière édition et livre ses meilleurs conseils aux futurs candidats.
Vous faisiez partie du jury international des Sept Sages pour le S.Pellegrino Young Chef 2015. Comme avez-vous trouvé le niveau des jeunes chefs lors de la dernière finale ? La première édition a été exceptionnelle, de très haute volée ; j’ai été particulièrement impressionné par le niveau d’exigence, de connaissance et de créativité de ces jeunes chefs. C’est épatant et encourageant car il est rare d’atteindre cette émulation et surtout ce résultat sur une toute première année de concours. J’attends avec impatience cette nouvelle édition.
Un jeune chef va prochainement apprendre à vos côtés pour représenter la France et tenter de remporter le S.Pellegrino Young Chef 2016. Et vous, quel chef admiriez-vous durant votre jeunesse et pourquoi ? Paul Bocuse sans hésitation. Il représente pour moi tout ce que la France peut compter d’excellence. Au delà d’être un maître incontestable de technique et de savoir-faire, c’est un grand homme, un modèle de sagesse et de générosité qui sait fédérer et percevoir. Il a vraiment été mon mentor, parce que je l'admire et parce qu’il a toujours été là pour me donner des coups de pouce stratégiques quand cela a été nécessaire dans ma carrière.
D'après vous, la créativité est quelque chose qui peut se transmettre ou est-ce un don propre à chaque personnalité ? C’est d’abord une grande chance. Pour certains, c’est plus évident que pour d’autres mais cela nécessite dans tous les cas beaucoup d’implication. Il faut y consacrer du temps, la cultiver, la nourrir. La curiosité est maîtresse ; à force de travail, de lectures, d’ouverture, de rencontres, on devient plus créatif. Si ça ne se transmet pas comme un gène, ça peut se gagner et se renforcer, j'en suis convaincu.
Salle du Pavillon Ledoyen. Crédit : Philippe Vaurès
Quel conseil donneriez-vous à un jeune chef qui cherche le juste milieu entre une cuisine traditionnelle et une technique plus contemporaine ? Je crois qu’elles ne s'opposent pas, et de ce fait il n'y a pas de juste milieu, plutôt un équilibre propre à chacun. Sans tradition il n'y a pas de modernité, sans apprendre son passé on ne peut pas participer à son futur. Il faut connaître la tradition, la maîtriser, et savoir ce qu’elle a d’exceptionnel pour pouvoir s’en départir et proposer quelque chose de totalement nouveau. C’est dans cette démarche que nous nous sommes inscrits pour développer la Cuisine Moderne comme une renaissance de la cuisine française. Le premier fondement de cette nouvelle approche est toute notre réflexion sur les sauces et le travail d’extraction. Le constat de départ est que la sauce symbolise la très grande cuisine française, qu’elle en est son articulation majeure, son verbe. Et bien, forts de notre apprentissage de la conjugaison, de sa pratique quotidienne, alors nous développons un nouveau temps, qui correspond mieux à notre époque.
Quel est votre secret pour constamment avoir de nouvelles idées et inventer de nouveaux plats ? La créativité est un muscle ; plus on travaille, plus on crée. Attention toutefois car créer c’est faire quelque chose de totalement original ; ce n’est en aucun cas copier, revisiter ou se placer volontairement en opposition mais se concentrer sur soi pour mieux s’éloigner de ce qui existe et proposer une vraie alternative. Si l’on en revient aux sauces modernes, ce sont des sauces qui n’existaient pas. On s’est reposé sur une base solide pour proposer de nouvelles techniques et ouvrir un nouveau territoire d’expression.
Crédit : Philippe Vaurès
Quelles sont vos attentes concernant le futur de la gastronomie ? Aujourd’hui, la cuisine est un phénomène mondial et c'est une grande chance que de pouvoir être confronté aux formidables influences de la planète, qu'elles soient marocaines ou taïwanaises. À ce titre, je pense que la gastronomie doit se maintenir en phase avec à son temps, extraordinaire de cette multitude d’inspirations et d’informations qui nous parviennent. La modernité a, à mon sens, plusieurs niveaux de lecture. On peut évidemment imaginer combler un besoin physique et émotionnel, et dedans on inscrirait entre autres les besoins physiologiques, la maîtrise des apports nutritionnels et le plaisir gustatif. Il y a également la dimension sociale, tant au niveau du respect et de la promotion des individus, en cuisine comme en salle, que dans l’acte même de rassemblement autour d’un repas pris en commun. L’aspect écologique est aussi fondamental, dans notre devoir vis-à-vis de la nature à travers, notamment, un approvisionnement responsable et le soutien farouche de productions locales exceptionnelles. C’est d’ailleurs tout l’objet du « terroir parisien » que nous défendons et appuyons depuis plus de huit ans maintenant.
Avez-vous de nouveaux projets dont vous aimeriez nous parler ? Nous avons plusieurs beaux projets en cours. Un premier s’inscrit dans la poursuite de ce travail sur la cuisine moderne symbolisant la renaissance de la cuisine française ; il s’agira du deuxième pilier de réflexion qu’est la fermentation, que nous dévoilerons en juin. Et dans un temps plus proche, j’aimerais remettre le plat principal au centre de toutes les attentions. Nous nous appuierons sur le modèle du Repas Gastronomique des Français, classé au Patrimoine de l’UNESCO, qui constitue l’ossature la plus importante d’un menu : une assiette généreuse et unique qui pourra même se suffire à elle même. Cela s’appellera le « Principal » et sera servi au déjeuner dans notre maison des Champs Elysées : le Pavillon Ledoyen.