Le 9 octobre dernier, Anne-Sophie Pic, ainsi que David Martin et Heiko Nieder, ont désigné Alexandre Alves Pereira comme grand gagnant de la région Europe Nord-Ouest du S.Pellegrino Young Chef. Après cette victoire, celle qui était présidente du jury est devenue la mentor du jeune chef et l'accompagnera jusqu'à la grande finale du concours, qui se tiendra en mai 2020 à Milan.
Mais l'actualité d'Anne-Sophe Pic va bien au-delà de cette compétition. Récemment, la cheffe a reçu deux étoiles pour La Dame de Pic à Londres, faisant d'elle la femme la plus récompensée par le Guide Michelin au monde.
Berlingots tomate green zebra asperule odorante ©Jean-Francois-Mallet
Fine Dining Lovers a eu la chance d'échanger avec Anne-Sophie Pic sur ces différents événements.
Il y a deux ans, vous étiez marraine des nouveaux étoilés Michelin. Cette année, vous êtes mentor d'Alexandre Alves Pereira pour le S.Pellegrino Young Chef. Quelle place occupe la transmission dans votre carrière ?
C'est quelque chose dont j'aurais aimé bénéficier. Quand j'ai commencé dans le métier, j'ai eu l'aide de mon père qui est malheureusement parti trop tôt, puis celle des chefs qui ont travaillé avec lui, mais l'organisation de ces concours et les promotions au sein des guides créent de la proximité avec les chefs et ça peut rassurer. L'expérience des autres sert toujours même si elle ne se marchande pas. Quand on est jeune on se pose beaucoup de questions, on peut écouter ou non ce que les autres nous disent, mais c'est important d'y avoir accès. J'aime beaucoup ce rôle auprès des jeunes car il est évident que c'est eux qui vont faire bouger les choses. Au-delà de la transmission des méthodes de cuisine, je pense que la tranmission de valeurs est également essentielle. On est tous un condensé de ce que l'on a reçu.
Les Berlingots ©Alexandre-Bienfait
Justement, n'est-ce pas un peu compliqué pour un jeune chef de trouver son identité quand il reçoit autant de ses aînés ?
Comme je suis une cheffe autodidacte, j'ai toujours eu une grande liberté d'action tout en ayant conscience que j'étais très contrainte par mon peu d'expérience. Donc je ne connais pas réellement cette influence extérieure. Mais pour la jeune génération, je pense que le plus important est de rester soi-même. Il y a vingt ans, on faisait le tour des maisons puis on s'installait, et la cuisine proposée reflétait ces différentes expériences. C'est toujours le cas aujourd'hui, on commence par quelque chose avec lequel on est à l'aise, mais au fil du temps on s'en détache et on devient soi-même ! Il est quasiment impossible de savoir d'emblée qui on est en cuisine. Il faut rester ouvert pour ensuite sélectionner ce que l'on souhaite conserver. Il faut cultiver ses intuitions. La chance que les jeunes chefs ont aujourd'hui, c'est que l'image de la cuisine a beaucoup évolué ces dernières années. Grâce aux concours et à la médiatisation de la cuisine, elle passe parfois de l'artisanat à l'art et c'est vraiment une bonne chose pour eux !
Vous êtes aujourd'hui la mentor d'Alexandre Alves Pereira pour la suite du S.Pellegrino Young Chef. Comment comptez-vous travailler avec lui dans les mois à venir ?
Tout n'est pas encore fixé mais les entraînements se dérouleront chez moi, à Valence. Nous avons une cuisine dédiée aux essais... C'est un endroit propice à la création ! C'est un lieu serein et bienveillant. Je suis déjà le mentor de tous mes chefs donc c'est un exercice que je connais bien. Mais pratiquer cela avec une personne extérieure, c'est une nouvelle aventure pour moi ! C'est chouette !
Homard Fruits Rouges ©Jean-Francois-Mallet
Cette année, trois jeunes femmes se sont présentées à la sélection régionale. Êtes-vous sensible à cette thématique ?
Je ne fais pas de la parité mon objectif total et ultime. Je pense que ce n'est pas juste. L'expression d'une femme en cuisine a évidemment toute sa place, mais ce qui importe c'est d'être juste dans son jugement et de ne favoriser - ou défavoriser - personne en fonction du genre.
Vous avez récemment décroché une seconde étoile pour La Dame de Pic à Londres. Comment on se sent lorsqu'on apprend qu'on devient la femme la plus étoilée au monde ?
C'est une petite responsabilité quand même... Vis-à-vis de mes équipes, des gens avec lesquels on travaille ! Mais je pense qu'il faut que ça reste léger. Gagner une étoile c'est du plaisir... une récompense pour un travail donné. Forcément cela induit des choses, mais pour le moment je ne vois que du positif : les équipes ont une motivation décuplée ! Mais je ne veux pas entrer dans une sphère de starification. Ca n'est pas du tout mon truc !
Avez-vous encore des rêves et des objectifs avec une telle carrière ?
Je suis quelqu'un de très simple et mon rêve c'est d'être toujours dans la réalité des choses, d'être au point d'équilibre dans ma vie, autant personnelle que professionnelle. Ce point est toujours instable et ma lutte de tous les jours est de faire en sorte qu'il devienne stable tout en continuant à être performante et surtout me faire plaisir. Mais quelque part, ce déséquilibre est aussi ce qui fait que je continue à avoir des rêves et de l'adrénaline pour avancer.