Ce lundi 30 janvier, Paris accueillait la finale française de la S.Pellegrino Young Chef Academy, qui a vu le couronnement du jeune chef Camille Saint-M'leux. Mais peu avant la remise des prix au Café de l'Homme, une première édition du Brain Food Forum s'est tenue. Pendant près d'une heure, plusieurs acteurs de la gastronomie se sont réunis autour d'Alexandre Cammas, fondateur du guide Le Fooding, pour parler du fine dining à l'heure de la sobriété.
Pour évoquer le sujet et surtout apporter des idées et des solutions, le journaliste avait convié Christophe Bacquié, chef triplement étoilé qui vient tout juste de quitter l'hôtel du Castellet pour ouvrir son propre établissement ; Amélie Darvas et Gaby Benicio du restaurant Äponem ; James Henry du restaurant-auberge Le Doyenné et Anna Shoji, agricultrice installée près de Tours et qui cultive des légumes exclusivement japonais. Une interview filmée d'Olivier Roellinger, réalisée par Fine Dining Lovers, a également été projetée en conclusion de cette table ronde. Voici un petit résumé du Brain Food Forum 2023.
Des produits simples mais de qualité
La table ronde s'est ouverte avec le témoignage d'Amélie Darvas et Gaby Benicio. Les deux restauratrices, autrefois installées à Paris, ont quitté la capitale il y a plus de quatre ans pour Vailhan, dans l'Hérault. Là-bas, les deux jeunes femmes ont d'abord appris à s'adapter et sont allées naturellement vers la sobriété, faisant avec ce qu'elles avaient autour de chez elles. "À Paris, on a tout, tout de suite. À Vailhan, c'était étonnamment plus compliqué de se fournir alors on a acheté des jardins et commencé à cultiver la terre, pour avoir les produits dont on avait besoin", explique la cheffe Amélie Darvas. C'est également pour s'assurer de la qualité des produits qu'il cuisine que James Henry s'est installé à Saint-Vrain, dans l'Essonne, et ouvert Le Doyenné, un restaurant où le chef fait tout de A à Z, y compris l'élevage de cochon, la culture de légumes mais aussi chambres d'hôtes.
Si cultiver et élever peut être une solution pour éviter de cuisiner des produits qui viennent de loin et s'assurer de leur qualité, d'autres chefs ont réussi à construire un rapport de confiance avec les producteurs locaux pour proposer le meilleur de leur région. "On a tendance à penser que pour faire de la bonne cuisine, il faut cuisiner des produits nobles. Alors que des choses simples, comme un paleron de boeuf ou une carotte sont tout aussi délicieuses", assure Olivier Roellinger. Une sobriété vers laquelle souhaite tendre Christophe Bacquié. Aujourd'hui âgé de 50 ans, le Meilleur Ouvrier de France a choisi de quitter son poste de chef triplement étoilé à l'hôtel du Castellet pour ouvrir sa propre auberge dans le Lubéron. Avec sa femme Alexandra, le chef souhaite proposer quelque chose de plus confidentiel et plus simple, tout en restant dans l'excellence. "Nous sommes à un moment où les chefs reviennent sur les fondamentaux dont on aurait jamais dû s'éloigner", assure-t-il. De son côté, l'agricultrice Anna Shoji a tout quitté pour se lancer dans la culture de légumes japonais sur le territoire français, afin d'apporter le goût de ces aliments dans l'hexagone, l'empreinte carbone en moins. "Il y a 10-15 ans, on ne trouvait pas de haricot kilomètre, de lotus ou de taro en France, ou alors tout cela était apporté par avion et déjà à moitié pourri à l'arrivée", se souvient-elle. Cultiver tous ces légumes près de Tours a permis à l'agricultrice de retrouver le goût de son enfance et de partager cette passion avec de nombreux chefs qui souhaitaient les faire découvrir à leur tour à leurs clients, tout en respectant l'environnement.
Haute gastronomie et sobriété : une contradiction ?
Dans la vidéo diffusée en fin de table ronde, Olivier Roellinger affirme que gastronomie et sobriété sont presque une contradiction et que pour revenir à des valeurs plus louables, il est nécessaire de s'éloigner de la compétition mais surtout de la "course à l'armement". "Fut une époque où il fallait changer ses toilettes et sa vaisselle tous les cinq ans. Je pense qu'aujourd'hui, les clients acceptent de venir dans des maisons plus modestes" mais proposant une cuisine "bourrée de sincérité", se réjouit-il.
Une phrase qui sonne comme un espoir et surtout une confiance en l'avenir, alors que Rene Redzepi, chef du Noma à Copenhague, a récemment annoncé la fermeture de son restaurant prévue en 2024 "parce que ce modèle de très haute gastronomie, dit-il au New York Times, n’est pas soutenable, ni financièrement ni émotionnellement, ni en tant qu’employeur ni en tant qu’être humain, il ne marche tout simplement pas." Des mots forts qui n'ont pas trouvé échos auprès des invités du Brain Food Forum : "Il critique un système dont il est à l'origine", regrette James Henry, qui estime que le cas de Noma n'est pas une généralité. "C'est son choix, mais s'il est si mal à l'aise avec cette façon de faire, pourquoi attendre fin 2024 pour tout arrêter ?", se questionne Christophe Bacquié. "Notre métier n'est pas parfait mais on connaît de belles avancées sociales. C'est à nous de réfléchir pour penser notre profession autrement."
C'est d'ailleurs ce que font Amélie Darvas et Gaby Benicio chez Äponem, en tentant très souvent de nouvelles choses. "Le lundi, on fait une grande réunion avec tout le monde pour parler des idées et envies de chacun. Aussi, on rémunère tout le monde avec le même salaire. On tente l'horizontalité plutôt que la verticalité dans la hiérarchie afin de casser le côté militaire de la cuisine", explique Gaby Benicio. "Tout le monde est important, au même titre. Si on n'a pas de plongeur, c'est l'enfer ! Alors on mise sur un modèle égalitaire." "La cuisine est un sport collectif", renchérit Olivier Roellinger, qui conclut cette table ronde avec une phrase pleine de bon sens : "Ne rien faire, c'est laisser faire aux autres. Ne les laissez pas faire !"