Lundi soir, sur France Info, Philippe Etchebest a une nouvelle fois manifesté son inquiétude pour tous les restaurateurs de France concernant les nouvelles décisions du gouvernement. Depuis ce week-end, les restaurants de Marseille et Aix-en-Provence ont dû fermer leurs portes pour une durée minimum de 15 jours, et les professionnels à travers la France craignent une fermeture généralisée dans les semaines à venir.
Le chef bordelais a donc appelé ses confrères à témoigner de leur colère et leur inquiétude : "Ce vendredi 2 octobre, j'invite tous les restaurateurs, les artisans, à se rassembler devant leurs établissements, leurs commerces, avec un brassard noir et tout leur personnel, parce que notre personnel, nos équipes, sont aussi concernés. C'est une action pacifiste, sans violence, pas de désobéissance car je n'encourage pas cela, c'est juste pour montrer qu'on est là et qu'on est en train de mourir et qu'il faut absolument faire quelque chose. Il faut faire du bruit, montrer qu'on est là, qu'on est en train de crever", martèle le chef étoilé.
Si la plupart des restaurateurs craignent pour leur avenir, ils sont également peu optimistes quant à l'impact de cette action. "Quand les routiers bloquent les autoroutes, on les entend car ils touchent tout le monde. Un restaurateur qui se met devant son établissement avec un panneau, j'y crois moyen", estime Nicolas Bottero, chef étoilé du Mas Bottero à Saint-Cannat. "Et tant qu'on ne fait chier personne, on n'est pas entendus."
Même son de cloche du côté d'Alexandre Mazzia à Marseille : "J'ai autre chose à faire que de rester planté devant mon restaurant vendredi matin. Protester ça occupe, mais ça ne change rien malheureusement", regrette le chef doublement étoilé du restaurant AM. "Cela ne veut pas dire pour autant que je suis d'accord avec ce qu'il se passe." Le chef doublement étoilé a d'ailleurs pris comme un coup de massue la nouvelle fermeture de son restaurant samedi soir dernier. "On est pris en otage, sans explication claire et tout le monde souffre de cette décision... Mais il faut la respecter, même si elle n'est pas juste. On fait tout pour respecter le protocole avec le port de masques, de gants, la mise à disposition de gel hydroalcoolique, le personnel qui se lave les mains toutes les 15 minutes, je me fais dépister toutes les semaines... Les mesures sont drastiques et ça n'est toujours pas suffisant ! Psychologiquement, c'est très difficile à accepter."
La confusion dans les grandes villes
Pour Nicolas Bottero, dont le restaurant se situe à quelques kilomètres d'Aix-en-Provence, les choses n'ont pas non plus été faciles la semaine dernière. "Mercredi, on nous a annoncé que l'on devait à nouveau fermer le samedi suivant dans 92 communes. On a tout prévu en conséquence, j'ai même fait un rendez-vous avec mon comptable pour estimer les pertes ! Vendredi matin, il y a eu une grosse manifestation de restaurateurs et de fournisseurs devant le tribunal de commerce à Marseille et vendredi à minuit, un arrêté préfectoral nous annonce que finalement, seuls les restaurants d'Aix et de Marseille sont concernés. Résultat vendredi soir mes frigos étaient vides, car je pensais devoir fermer le lendemain. Ca a été la course samedi matin pour ravitailler le restaurant chez des fournisseurs qui, eux aussi, avaient prévu de fermer et n'avaient pratiquement rien en stock. On s'est débrouillés, mais c'était un véritable ascenseur émotionnel. Les politiques prennent des décisions sans concertation et on est constamment dans le flou le plus total."
À Lyon, où les chefs paraissent assez éloignés de ces problématiques ces derniers jours, les choses ne sont pas tellement plus claires. Comme à Paris, les bars doivent fermer à partir de 22h mais les clients, comme les restaurateurs, sont parfois perdus. "Beaucoup nous appellent pour savoir s'ils peuvent venir dîner car ils ne savent plus ce qui ferme à 22h et ce qui reste ouvert normalement. Pour le moment, en tant que restaurateurs, nous ne sommes pas concernés. Mais on a tellement la tête sous l'eau qu'on ne suit pas tout le temps l'actualité en direct et les consignes peuvent vite changer", explique Maxime Laurenson, chef du restaurant Rustique.
Dans son établissement, comme dans beaucoup d'autres, le chef applique les règles à la lettre : espacement des tables, masque porté du matin au soir, désinfection, "on fait vraiment attention pour assurer la plus grande sécurité possible à nos clients et à nos équipes", assure-t-il. Mais Maxime Laurenson s'attend encore au pire : "On prend ce qu'il y a à prendre tant qu'on le peut car on se dit qu'on n'est pas à l'abri d'une nouvelle fermeture comme à Marseille", appréhende-t-il. "Ca serait vraiment scandaleux de nous imposer cela, voire inconscient pour des restaurants comme les nôtres, ouverts il y a à peine un an et qui n'ont pas beaucoup de trésorerie. Quand on pense que les rassemblements de 1.000 personnes sont encore autorisés mais que certains restaurants de 30 couverts, où les distanciations sociales sont respectées, doivent fermer, c'est incohérent."
"J'ai peur qu'on en vienne à stigmatiser toute une profession", craint Nicolas Bottero. "Les restaurateurs sont-ils vraiment responsables du nombre croissant de personnes en service de réanimation alors qu'on voit tous des images de gens dans des transports en commun bondés ? L'une des solutions serait une vraie répression envers les professionnels qui n'appliquent pas le protocole et les gestes barrières plutôt que de sanctionner tout le monde. Je sais que cela demande des moyens mais cela pourrait éviter des mesures radicales qui vont couler de nombreuses personnes. J'en ai presque eu les larmes aux yeux de voir des gens manifester vendredi dernier pour qu'on les laisse travailler !"
Alexandre Mazzia tente de relativiser : "On n'est pas aux Etats-Unis, on a la chance d'avoir des aides comme le chômage partiel et le prêt garanti par l'État... Ce n'est pas toujours suffisant mais c'est déjà ça". Pourtant, le chef marseillais craint déjà de devoir fermer l'un de ses restaurants à cause de cette nouvelle fermeture "Je viens d'ouvrir un bistrot à Aix, Niro, et je pense qu'il ne survivra pas", regrette-t-il. "Mais il faut garder la tête froide, regarder l'horizon et se concentrer sur l'après."