Alexandre Couillon est un passionné. Après avoir fait ses armes auprès de Michel Guérard à Eugénie-les-bains et Thierry Marx à Cordeillan-Bagès, le chef a repris l'entreprise familiale en 1999, à seulement 22 ans, aux côtés de sa compagne Céline.
Si les débuts du restaurant La Marine sont difficiles, le couple sort peu à peu la tête de l'eau grâce à l'entrée du restaurant dans le Guide Michelin avec un Bib gourmand en 2002 et une première étoile en 2007. Aujourd'hui, l'établissement doublement étoilé est une véritable institution sur l'île de Noirmoutier et on comprend facilement pourquoi. Alexandre Couillon parle en effet de son île et de sa cuisine avec beaucoup d'enthousiasme et de tendresse, comme le prouve l'échange que nous avons eu la chance d'avoir avec lui.
Votre restaurant, La Marine, a été classé 6e meilleur restaurant d'Europe par Opiniated About Dining (OAD). Vous intéressez-vous à ce genre de classement ?
Oui bien sûr. Je pense qu'aujourd'hui, qu'il s'agisse d'un classement ou d'un guide, ces publications sont très importantes. Imaginez, quand on crée une maison comme la nôtre, sur une île saisonnière, il nous faut ce genre de publicité pour survivre et amener du monde. Si on n'a pas de reconnaissance, cela devient compliqué de travailler à l'année et de mettre en route certains projets comme ouvrir un bistrot, faire un potager, des ruches...
Quand la première liste OAD est sortie il y a trois ans, nous étions 24e, puis 14e l'an dernier et 6e aujourd'hui et grâce à cela, nous avons plus de réservations de l'étranger. Certaines personnes viennent de loin exprès pour goûter notre cuisine et c'est très gratifiant pour nos équipes.
Depuis 2015, vous disposez de votre propre potager sur les hauts de Noirmoutier. Quelle importance a la cuisine locale pour vous ?
Je dispose désormais d'un terrain de 1.800 m² pour faire pousser mes propres légumes, mes plantes, mes fleurs... Au total, je dois avoir près de 200 variétés. Si nous nous sommes lancé là-dedans, ce n'est pas par snobisme mais parce qu'on voulait vraiment avoir des légumes du coin plutôt que d'en faire venir de la France entière. J'y vais tous les matins et je cueille ce dont j'ai envie. J'ai bien sûr de l'aide pour entretenir tout cela. J'ai une personne à plein temps en charge du potager qui fait les semis, les plantations, qui prend soin de tout ça et bien sûr sans aucun traitement, en biodynamie... On travaille avec la météo, les saisons et aujourd'hui, 98% des légumes cuisinés à La Marine proviennent de ce jardin.
Concernant le poisson, j'ai beaucoup appris auprès du chef japonais Toru Okuda. Il y a plus d'un an, il est venu manger plusieurs fois dans mon restaurant et m'a finalement proposé de venir au Japon avec lui pour préparer un repas à 4 mains dans son restaurant. Je suis arrivé dans une cuisine hyper traditionnelle, sans robot ni micro-ondes, il n'y avait qu'une grille et trois feux vifs... Il m'a emmené tous les jours sur les marchés et sa façon de travailler m'a complètement ouvert l'esprit. Aujourd'hui j'attends des pêcheurs qu'ils me ramènent du poisson extra-frais, encore vivant et que je tue moi-même pour qu'il souffre le moins possible. Et s'il n'y a pas le poisson dont j'ai envie un certain jour, ce n'est pas grave, c'est la mer qui dicte mon menu, pas l'inverse. C'est très exigeant mais c'est une contrainte que je me suis imposé. Il faut vivre avec le terroir !
Vous avez également parlé de ruches. C'est un nouveau projet ?
Oui, nous avons installé cinq ruches et nous venons tout juste de récupérer notre premier cadre. Les autres sont remplis et si cela marche bien, nous lancerons prochainement cinq autres ruches. L'idée c'est de se positionner et de prendre le temps.
Courant 2016, le public pourra découvrir les coulisses de votre cuisine dans la série Chef's Table de Netflix. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce tournage ?
Une équipe d'environ 15 personnes a passé une semaine et demi avec nous. Matin, midi et soir ils étaient là pour découvrir notre univers, ce qu'on dégage, pour en savoir plus sur mon histoire et ma personnalité... Ils ont filmé tous les attraits et les aspects de l'île... C'était incroyable ! Ca m'a aidé à réaliser tout ce qu'on avait accompli.
Je me suis installé ici avec ma compagne à l'âge de 22 ans et les premières années ont été vraiment très dures. On ne bossait que l'été et l'hiver, on voyait la salle vide, on se demandait si on allait tenir le coup. Alors à la fin du tournage, j'ai remercié le réalisateur qui m'a ramené à cette époque où nous étions insolents, insouscients et faisions tout pour y arriver coûte que coûte.
Au début, je me demandais vraiment pourquoi, après s'être intéressé à Massimo Bottura ou Alain Passard, Netflix venait me rencontrer moi. Mais je pense qu'on a réussi à créer une histoire différente et aujourd'hui, c'est intéressant de rencontrer des gens qui viennent du monde entier pour bosser chez nous. C'est un grand melting-pot en cuisine mais on garde les deux pieds sur notre île. On a vraiment hâte de découvrir le documentaire à la fin de l'année.
Si vous deviez recommander un plat en particulier aux touristes qui viendront à La Marine cet été, quel serait-il ?
Aujourd'hui, nous avons trois plats signatures au restaurant. Le premier s'appelle Coquillages & Crustacés (Bord de mer). Sans vraiment comparer, on peut dire que ce plat rejoint l'esprit du Gargouillou de Michel Bras. On y retrouve de la pulpe de navet et tous les produits de la mer du moment – hormeaux, poulpe, langoustine, praire, moule, etc – cuits minute, servis froid avec quelques légumes aigre-doux pour booster le plat, de la coriandre, de la menthe et du basilic, le tout refermé par un bouillon d'étrier légèrement gélifié. D'après nos clients, dès la première bouchée, ce plat donne l'impression de plonger dans la mer !
Le deuxième est L'huître au bouillon de lard & encornet, que l'on a rebaptisé L'huître noire Erika en « souvenir » de ce pétrolier échoué en 1999 au large de nos côtes, l'année où nous nous sommes installés ici. C'était vraiment triste de voir tout ce bord de mer ravagé par le mazout. Ce plat se compose d'une huître froide servie dans un bouillon de lard et encornet, avec des perles du Japon cuite en acidité, une pastille de sucre qui rappelle la nacre de l'huître... Visuellement, c'est vraiment une tâche noire sur une assiette.
Le dernier c'est notre dessert du moment, Balade dans le Bois de la Chaize, qui fait référence à ce bois à la pointe de Noirmoutier, situé entre terre et mer, avec beaucoup de pins maritimes. On retrace l'éco-système de l'endroit avec une mousse en biscuit vert, des écorces d'arbres en topinambour, du sablé chocolaté pour le terreau...
La mer occupe une grande place dans vos assiettes. Et dans la vie de tous les jours, quelle importance lui donnez-vous ?
Je fais beaucoup de balades et de courses à pied autour de l'île. Quand on a un métier très prenant comme le mien, on a besoin de s'évader de temps en temps et c'est toujours un plaisir d'admirer la mer qui évolue au fil des saisons. J'ai fait du kitesurf étant plus jeune mais aujourd'hui, la mer me fait peur autant qu'elle me fascine alors je préfère garder les pieds sur terre. Mais tous les matins, quand je me lève je vois la mer et c'est un grand bonheur. Je serais très malheureux en ville ou dans les terres je pense.
Vous avez été membre du jury S.Pellegrino Young Chef l'an passé. Quel souvenir en gardez-vous ? Avez-vous suivi le début de l'édition 2016 ?
Ce qui m'a vraiment plu dans cette expérience c'est le fait de tomber sur des jeunes d'horizons très différents. Tout le monde avait sa chance et s'exprimait à travers son assiette. Et de mon point de vue, le rôle de transmission que j'ai pu jouer était très important. On a le devoir de prouver aux jeunes qu'on peut y arriver mais qu'il faut travailler dur. On n'a rien sans rien.
J'ai suivi la sélection française de cette année et j'ai hâte de voir ce que donnera le résultat final.
Quel souvenir culinaire vous a le plus marqué dans votre vie ?
Le souvenir le plus marquant est plus une odeur qu'un goût. Je suis né à Dakar, j'y ai vécu jusqu'à mes 7 ans et j'ai eu la chance de parcourir les marchés de la ville avec ses bonnes odeurs de grillé, de fumé... Ca a vraiment marqué mon enfance. D'ailleurs, il y a deux ou trois ans, je suis allé au Mirazur de Mauro Colagreco (qui fête ses 10 ans cette année) et en me promenant dans les ruelles, j'ai senti une odeur similaire de fumé qui m'a renvoyé directement au Sénégal. L'Afrique, les odeurs, les huiles, le bois d'ébène qui brûle... J'adore tout cela.
Sinon, quand j'étais petit, je venais chez mes grands-parents en vacances en France, au bord de la mer, et j'aimais déjà beaucoup aller dans l'eau, pêcher des crabes, des palourdes et récolter des algues.
Avez-vous des projets en cours ou à venir dont vous aimeriez nous parler ?
Nous lançons prochainement des travaux pour ouvrir en mars 2017 des chambres d'hôtes juste à côté du restaurant. On souhaitait proposer une prestation différente de la restauration et c'est un projet qui nous tient vraiment à cœur.
Je vais également sortir un livre en fin d'année avec beaucoup de photographies et d'art. Ca parlera beaucoup de Noirmoutier et du bilan de ce que j'ai pu faire depuis 18 ans.
Où ? La Marine, 5 rue Marie Lemonnier, Noirmoutier-en-l'ile.
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