Sarah Espeute raconte ses tables sensibles

Pour commencer, pourriez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours ?

J’ai étudié les arts appliqués dans le sud de la France, puis le graphisme à Paris. Très vite, je me suis rendue compte que je ne voulais pas me limiter au graphisme : j’avais besoin de créer avec mes mains. J’ai lancé une première initiative autour de l’auto-édition et de l’impression alternative, mais ce qui me fascinait surtout, c’était l’illustration d’objets et de scènes d’intérieur.

Après plusieurs années à Paris, je me suis installée à Marseille. J’ai alors exploré des pratiques plus manuelles, comme la peinture et la broderie. J’ai commencé à broder sur des rideaux, puis l’idée du trompe-l’œil est née. La nappe brodée, elle, est arrivée à l’occasion d’une exposition à Biarritz. Ce projet a marqué un tournant : j’ai vu à quel point la broderie pouvait créer une poésie autour de la table.

Comment s’est développée votre activité depuis cette première nappe ?

Au départ, je faisais tout moi-même. Mais très vite, la demande a augmenté, et j’ai compris que refaire les mêmes pièces en série ne m’épanouissait pas. J’ai donc commencé à collaborer avec d’autres brodeuses, des artistes installées à Marseille, à qui j’ai transmis mes techniques. Les pièces restent entièrement brodées à la main, et je veille à préserver un savoir-faire artisanal. On travaille uniquement avec des textiles anciens, ce qui donne aux créations un caractère unique et durable. C’est aussi un clin d'œil aux méthodes de production d’avant l’industrialisation, où les objets étaient confectionnés à la pièce, chez soi ou en petits ateliers.

Vous évoquez souvent la table comme un espace chargé d’histoires et d’émotions. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous ?

C’est un lieu essentiel. J’aime recevoir, mais de manière simple, intime. J’ai grandi dans une famille où on dresse une belle table même au quotidien, avec de la vaisselle ancienne, souvent chinée ou transmise. Mon père collectionne les assiettes anciennes, et j’ai hérité de ce goût pour les objets qui ont une histoire. Chaque nappe que je conçois raconte une scène ou une ambiance : un déjeuner en bord de mer, un repas de famille, une soupe au pistou ou un grand aïoli. Il y a toujours un lien avec la mémoire, la transmission, et souvent une pointe de nostalgie.

Avez-vous déjà collaboré avec des chefs ou des restaurants ?

Pas encore, mais c’est un univers qui m’attire beaucoup. On a récemment participé à un événement à Saint-Tropez autour de la gastronomie, où j’ai senti un réel intérêt. Pour l’instant, le textile artisanal reste difficile à intégrer dans les restaurants, qui passent souvent par des services de location et de nettoyage. Mais je pense que ça viendra. Les céramiques artisanales ont déjà trouvé leur place, alors pourquoi pas la nappe brodée ?

Avec qui aimeriez-vous imaginer une collaboration ?

Avec Laila Gohar, une artiste pluridisciplinaire d’origine égyptienne, qui vit à New York et travaille dans les domaines du design, de la mode et de la gastronomie, alliant art, cuisine et storytelling.

Vos créations sont par ailleurs très appréciées à l’étranger. Est-ce un hasard ?

Je pense que le sud de la France fait rêver, et mes nappes évoquent cet imaginaire-là. On a une clientèle fidèle aux États-Unis, en Corée : ce sont souvent des personnes sensibles à l’artisanat, à la poésie du geste, à l’histoire d’un objet. En France aussi, bien sûr, mais l’aspect précieux de ces pièces en fait parfois des objets d’exception. C’est pourquoi j’essaie de développer des alternatives plus accessibles, sans perdre l’âme du projet.

Et justement, vous travaillez sur une nouvelle collection, c’est bien ça ?

Oui, une collection qui sortira à l’automne. L’idée, c’est de proposer des éléments de table élégants mais simples, qui peuvent être utilisés au quotidien : des surnappes, des serviettes pliées façon trompe-l’œil qui font toute la différence. Toujours avec cette attention portée à la matière et une l’histoire à raconter.