Le confinement n’arrête pas les actions solidaires menées par cuisines communautaires de Food for Soul. Cristina Reni, project manager du projet, raconte comment les Refettorios du monde entier continuent à aider les personnes en difficulté en ce moment de crise sanitaire.
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Depuis cinq ans, je fais partie de Food for Soul, une organisation à but non lucratif qui lutte contre le gaspillage alimentaire et l'isolement social en servant des repas dans des cuisines communautaires appelées Refettorios. Pendant ces dernières années, j’ai eu ma valise au milieu du salon, toujours prête à partir avec un morceau de Parmigiano Reggiano à améner en cadeau, ou à vider des souvenirs des lieux où j'avais temporairement vécu lors de l'ouverture de projets Food for Soul Refettorio.
Rassurer les convives pendant la crise #coronavirus est délicat.
L'hystérie médiatique n'aide pas quand on s’occupe de personnes ayant des problèmes de santé mentale. Comment peut-on s'auto-isoler lorsqu’on n'a pas un endroit où le faire?6 Mars 2020, Instagram @refettoriofelix
En 2015, Lara Gilmore et Massimo Bottura, le couple derrière Osteria Francescana et les fondateurs de Food for Soul, préparaient le Refettorio Ambrosiano à Milan pour l'arrivée de notre premier chef invité, Daniel Humm, du restaurant Eleven Madison Park à New York. Daniel entra dans l’établissement alors qu'ils déchargeaient 13 tables en bois, chacune créée par un designer italien différent en style Frattino, non seulement pour partager un repas préparé à partir du surplus alimentaire récupéré, mais aussi pour partager un moment de convivialité. Ces tables représentaient plus qu'un endroit pour manger. Elles étaient le symbole de l’acte de rompre le pain ensemble. Pour garder un souvenir de son expérience milanaise, Humm expédia une de ces tables à New York.
Photo : Refettorio Paris
Depuis la publication de ce post Instagram de Refettorio Felix à Londres, la crise Covid19 a évolué d’une façon que personne n’aurait pu imaginer. Le 23 février 2020, Milan a été la première ville soumise au confinement obligatoire en Italie. Refettorio Ambrosiano devait respecter les mesures de distanciation sociale et les opérations quotidiennes gérées par la Caritas Ambrosiana ont du adapter leurs services. Au lieu de fermer leurs portes, ils ont servi des repas du midi au soir, afin d’accueillir le même nombre de convives à des heures différentes. Il était important de garder les portes ouvertes car le Refettorio était devenu non seulement un endroit où le surplus alimentaire se transformait en délicieux repas, mais aussi un réseau de soutien pour la communauté.
Pendant cette première semaine de confinement, je suis allé au marché local de Modène et j'ai vu une queue à l'extérieur. Ma peur n'était pas liée à l'avenir inconnu. En ce moment, c’est le souvenir des longues files d’attente et des tagères vides dans les supermarchés m’est venu à l’esprit : quelque chose que j’avais connu dans mon Venezuela natal. Le fait que cela se produise en Italie m’a poussée à me poser une question : comment cette crise va-t-elle affecter les personnes les plus vulnérables autour du monde ? J'ai pensé à ma famille au Venezuela et aux convives de nos Refettorios à Milan, Bologne, Rio, Londres, Paris et Naples. Les Refettorios étaient devenus une maison pour beaucoup d’entre eux : les sdf, les immigrés et les personnes en difficulté financière. Comment pourrions-nous les aider pendant cette crise ? Lorsque les citoyens les plus vulnérables sont en danger, nous réalisons que la nourriture est bien plus que des calories. Elle touche à la santé publique, à la communauté et à la dignité.
Photo : Simon Owen Red Photographic
À la mi-mars, la crise était allée au-delà de l'Italie. J'ai reçu un message de Jean François Rial, qui s'est associé à l'artiste français JR en 2018 pour donner vie au Refettorio Paris situé dans la crypte de l'église de la Madeleine. Il disait: « Nous allons devoir fermer pendant deux ou trois mois. Nous n’avons pas le choix ». Je me demandais quand j’aurais pu me rendre à nouveau dans un Refettorio, ou servir un invité, ou prendre dans mes bras une volontaire comme Vittoria, ou cette grand-mère milanaise qui me demande toujours si je suis tombée amoureuse. En tant qu'immigrée moi-même, les Refettorios étaient devenus ma maison.
Quelques jours plus tard, il a été confirmé que non seulement le Refettorio Paris fermait ses portes, mais que tous les Refettorios ne pouvaient plus servir de lieux de rassemblement. Qu'est-ce que cela signifie pour nos clients ? Alors que chaque Refettorio a commencé à s'adapter à la crise actuelle à sa manière, aucun d’entre eux n’a envisagé l'arrêt de ses services. L'élément commun qui les a tous unis, c'est qu'ils ont tous trouvé le moyen d'en faire plus.
Photo : Antoniano
Au cours des trois dernières années, nous avions formé un réseau reliant tous les projets Refettorio à travers le monde, dans l'idée que l'échange entre les différents partenaires serait une opportunité pour apprendre, grandir et être plus fort ensemble. Une réunion virtuelle de ce réseau d'apprentissage s’est tenue le 18 mars dernier. Avec plus de dix personnes connectées, nos écrans étaient divisés en petits carrés et pourtant, peu importe notre fragmentation, nous ressentions tous le besoin de poursuivre nos activités d'une manière ou d'une autre.
Nous avons appris comment chaque Refettorio a mis en place une stratégie différente. Food for Soul est devenu une carte des réponses diverses à la même crise. Grâce au Learning Network, nous avions les outils pour faire évoluer et adapter nos modèles. Nous avons réussi à faire rebondir nos idées et à nous soutenir mutuellement en temps de crise.
Photo : Refettorio Felix
Natália Rosa, une jeune femme travaillant au Refettorio Gastromotiva, lors d'une réunion d'équipe, a déclaré : « C'est le moment de sortir du mode besoin et de passer au mode aide ». N'étant plus en mesure de servir des repas à Rio, le Refettorio Gastromotiva consacre ses ressources à la collecte de 17,8 tonnes de surplus de nourriture et agit comme une banque alimentaire pour les « Solidarity Kitchens » et d'autres organisations qui ont nourri plus de 29 000 personnes au cours des quatre dernières semaines.
Après Milan, le projet de Bologne a été l'un des premiers à adapter ses services en réponse à la crise. Depuis un mois et demi, Social Tables Antoniano a soutenu les familles en leur fournissant de la nourriture, et des bénévoles ont distribué des repas à emporter à ceux qui en avaient besoin. « Les enfants ne vont pas à l'école, donc pour leur faire sentir que nous sommes proches d'eux, on apporte de la nourriture et des jeux à leur domicile », a expliqué Anna Maria Asciano, une bénévole qui gère les box de nourriture.
Refettorio Felix au St.Cuthbert’s Centre de Londres a également créé un programme de repas à emporter, et prépare aussi des repas supplémentaires livrés au Royal London Hospital pour le personnel soignant.
Refettorio Paris a aussi mis en place une stratégie remarquable. Dès la fermeture de l’établissement, ils ont commencé à livrer des centaines de repas à ceux qui en avaient besoin et ils ne se sont pas arrêtés là. Ils ont contacté leur réseau de chefs, de restaurants et de donateurs pour lancer Action Refettorio. Mené par l'artiste parisien JR, le projet récupère les produits en surplus et les livre aux restaurants de toute la ville, qui préparent à leur tour des repas livrés aux associations d'aide sociale. L'objectif pour les prochaines semaines est de distribuer 5.000 repas par jour.
Bottura et Humm - photo : Emanuele Colombo
Food for Soul a été au cœur de ces initiatives, fournissant des outils et des informations en cours de route. Nous avons vite compris que nous devions faire plus. Nous avons lancé un fonds communautaire pour soutenir les Refettorios et leur permettre de continuer à servir leurs communautés avec dignité pendant la crise Covid19.
Après 5 ans, beaucoup de choses ont changé. Mais une chose est toujours la même. Nous sommes métaphoriquement assis autour de la même table avec une mission : aider les autres. Notre approche de la restauration, qui vise à accueillir et prendre soin de l'autre, ne changera jamais même avec la distanciation sociale.
Photo : Caritas Ambrosiana
Cette table du Refettorio Ambrosiano – la même qui se trouve dans un appartement à New York - est un symbole de connexion, mais aussi d'action. Alors que les restaurants sont fermés, les chefs agissent. Daniel Humm a transformé son restaurant en une cuisine de production préparant des repas pour les plus vulnérables. Massimo a créé la série Kitchen Quarantine, se connectant tous les soirs sur Instagram depuis sa cuisine à Modène pour inspirer les gens qui restent à la maison à préparer des repas passionnants en famille sans gaspiller de nourriture. Les Refettorios continuent de nourrir des personnes en difficulté. Nous pouvons tous être temporairement séparés, mais nous serons toujours une communauté autour de cette table.
Note de l’éditeur : Le paiement de cet article a été versé au Food for Soul Community Fund.