C’est au mois de novembre 2023, alors que la température est encore clémente, que nous nous asseyons au comptoir de Golden Poppy, le premier restaurant de Dominique Crenn à Paris. La cheffe, installée à San Francisco depuis 1998, avait le désir profond de renouer avec la France et a saisi l’occasion lorsque son amie Caroline Rostang l’a avertie de l’ouverture de l’hôtel La Fantaisie, en plein cœur de la capitale. “Paris a une signification particulière pour moi. Un jour, je me promenais avec des amis américains dans le Marais. Soudain, j’ai fondu en larmes, sans savoir pourquoi. Puis, je me suis levée et j’ai réalisé que je me trouvais devant le 64, rue de la Verrerie. Quelques semaines plus tôt, le directeur des la DDASS m’avait dit que c’était la dernière adresse connue de ma mère biologique, la femme qui avait été contrainte de m’abandonner lorsque j’étais bébé... “
Élevée par ses parents adoptifs en Bretagne, Dominique Crenn a ensuite trouvé sa place en Californie, jusqu’à devenir la première (et encore unique) femme triplement étoilée des États-Unis en 2018, pour son restaurant Atelier Crenn. Souvent qualifiée de “star de la cuisine” au look “rock’n’nroll”, la cheffe n’aime pourtant pas ce statut. Elle lui préfère celui d’artiste, qui façonne chaque plat “avec amour”, un leitmotiv qu’elle ne cesse de répéter à ses équipes, encore en formation le jour de notre venue chez Golden Poppy. La transmission est d’ailleurs quelque chose d’essentiel pour la cheffe qui, à 58 ans, vient de rejoindre le jury de Top Chef. Plus que la visibilité, elle a accepté ce nouveau défi “afin d’aider de jeunes talents à s’élever et savoir ce qu’ils ont vraiment au fond d’eux, pour les révéler”, nous assure-t-elle, grand sourire aux lèvres.
Golden Poppy. Crédit : MBDS photography
Mais revenons à Golden Poppy. Si, lors d’un passage à Paris, Dominique Crenn aime découvrir des adresses bien françaises comme Pouliche d’Amandine Chaignot, pas question pour elle de trahir sa cuisine. Au sein de l’hôtel La Fantaisie, cette Américaine d’adoption a à cœur de nous faire découvrir les saveurs californiennes, réinterprétées avec les produits du coin. La sélection des matières premières a d’ailleurs été le premier combat de Dominique Crenn lors de son installation à Paris, elle qui, aux Etats-Unis, profite des légumes de son propre potager et possède un réseau de fournisseurs bien ficelé. “Rungis, ça ne m’intéresse pas. Pour moi, c’est très important de défendre les petits producteurs”, martèle la cheffe.
C’est donc dans un écrin aux couleurs lumineuses, doté d’un magnifique jardin d’hiver, que Dominique Crenn fait vibrer les papilles de ses nouveaux adeptes. Chez Golden Poppy, comme dans le reste de ses établissements, la cheffe a banni la viande, trop souvent industrialisée, au profit du végétal et des produits de la mer. Le gaspillage alimentaire n’a pas non plus sa place en cuisine puisque chaque arête, écorce ou graine est optimisée ou fermentée pour apporter une saveur en plus dans les plats. “Loin de brider ma créativité, mon engagement en faveur de la durabilité me libère et m’emmène dans de nouvelles directions”, assure-t-elle.
Crédit : MBDS photography
Il faut dire que la cuisine proposée chez Golden Poppy est très créative et ne ressemble en rien à ce que l’on connaît déjà à Paris. Le déjeuner démarre très fort avec un pain brioché “Parker House”, notamment servi avec une confiture de jaune d’oeuf démente, avant d’enchaîner avec une gaufre de maïs aux oeufs de truite subtilement fumés, ornée d’un sabayon de moule et carotte. En plus de beaucoup de gourmandise, Dominique Crenn titille nos papilles avec des goûts francs et percutants, avec pour fil conducteur l’équilibre entre l’acidité, le piment et la rondeur.
Crédit : Maki Manoukian
Loin des clichés que l’on peut se construire de la cuisine californienne, la cheffe nous embarque avec elle dans un voyage où la modernité américaine rencontre les cuisines du Mexique ou du Japon. La preuve avec ce ceviche de bar de ligne au lait de panais (le lactose est pratiquement proscrit de la carte) et leche de tigre ou bien le tartare de thon rouge ikejime maturé, à rouler soi-même dans des feuilles de shiso condimentées. “Manger avec les doigts apporte quelque chose de différent et assez jouissif”, se réjouit Dominique Crenn, qui ne manque pas un petit clin d'œil à sa Bretagne si chère à son cœur, avec une dorade entière maturée, servie avec des coco de Paimpol. Mais la claque de ce repas restera sans doute la tarte aux champignons, mayonnaise au piment d’Espelette et concombre en pickles, dont les saveurs montent crescendo en bouche et nous décrochent un sourire à chaque cuillerée. “Il y a tout. Du croustillant, de l’acidité, du frit, du pimenté, de la fraîcheur… Et il y a une vraie longueur en bouche”, note la cheffe.
Tarte aux champignons. Crédit : Maki Manoukian
Dernière surprise ? Les gorditas, des petits beignets à la noix de coco et à l’ananas imaginés par Juan Contreras, chef pâtissier des restaurants de Dominique Crenn mais aussi ami et collaborateur de la cheffe depuis dix-huit ans. “À l’époque, il m’a harcelée de mails pour qu’on se rencontre. J’ai fini par accepter et je n’ai pas regretté. On a discuté pendant des heures, je lui ai dit de venir travailler le soir-même, et on ne s’est plus jamais quittés”, nous raconte, émue, Dominique Crenn. “À la base, il était cuisinier puis, à l’ouverture de l’Atelier Crenn, il a eu envie de se mettre à la pâtisserie. Il ne fait rien comme tout le monde, ne sucre presque jamais ses desserts, et on se régale à coup sûr !” Impossible de contredire la cheffe, tant ces gorditas, servies encore chaudes et légèrement croustillantes, sont un véritable délice empreint de gourmandise. Notre seul avertissement ? Le prix de certains plats peut vite faire grimper l’addition, le principe du restaurant étant le partage et la découverte de multiples saveurs.
Où ? Golden Poppy, La Fantaisie, 24 rue Cadet, 75009 Paris